dimanche 22 juillet 2012

Un Italien à Paris : une rossinienne à Toulouse


Il faut arriver tôt à un concert à placement libre. Pour observer ces gens dont le regard convoite les places « invités » puis cherche désespérément une bonne place qui n'existe plus. Et qui trébuchent immanquablement sur le passage de plancher que la régie a bricolé : il y a du Tati dans ces moments d'avant-spectacle.

La voûte étoilée de la salle capitulaire du cloître des Jacobins, dans la douceur de la brise estivale, est écrin délicat pour le minois et la voix de Karine Deshayes.
C'est une soirée de communion, de complicité, de virtuosité ; de clins d'œil et sourires adressés à cette dame du premier rang, attentive et émue.

© Aymeric Giraudel
Dans mezzo-soprano, il y a soprano, il y a mezzo. Karine Deshayes offre avec brio toute l'étendue sa palette, dans le badin Trovatore, le Risentimento blessé et vengeur, la délicate Légende de Marguerite, la valse de Nizza, la difficile Canzonetta spagnuola. Elle triomphe dans ce véritable opéra miniature qu'est la cantate Giovanna d'Arco où la jeune bergère fait des adieux poignants à sa famille, pour se tourner vers la patrie, la victoire. Elle est enfin tour à tour de touchantes Isabella, Semiramide, Elena, et une très espiègle Rosine.




© Eric Manas
L'accompagnateur et complice attentif est Dominique Plancade, qui propose en deux brillants solos les Fantaisies (Liszt, Ginzburg) sur des motifs de Rossini. La version ludique de Grigory Ginzburg, brodée sur Largo al factotum, n'est pas sans évoquer les images de l'hilarant Figaro de Tex Avery.







Pour souhaiter à l'assemblée conquise une douce nuit « sans vocalises », Karine Deshayes offre en bis un Lascia ch'io pianga émouvant, Rossini n'en voudra pas à Haendel.

Le public sous le charme se lève en haie d'honneur pour les deux artistes qui s'éloignent, émus à leur tour, dans la nuit du cloître.

Festival Toulouse d'été, Cloître des Jacobins, 20 juillet 2012

jeudi 12 juillet 2012

Tannhaüser : un autre Faust, entre corps et non-corps


Tannhaüser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le cœur humain pour principal champ de bataille, c'est-à-dire de la chair avec l'esprit, de l'enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu [1].

En descendant sous terre, Vénus s'est rapprochée de l'enfer, et elle va sans doute, à de certaines solennités abominables, rendre hommage à l'Archidémon, prince de la chair et seigneur du péché [1].

Plus, peut-être, qu'un autre Orphée [2], Tannhaüser est un autre Faust. Deux Heinrich, tiraillés entre une Elisabeth-Marguerite et une Vénus-Méphistophélès. Deux perpétuels insatisfaits, empêtrés dans leurs conflits internes, en recherche d'un absolu chimérique, marionnettes d'un pari entre Dieu et le Diable poussant à la folie et à la mort la femme vertueuse qui ne peut que dire « il ne revient pas ». De longs jours et de longues nuits la princesse de Thuringe attendit le moment de son retour, priant, pleurant, espérant [3].

C'est dans de subtils détails et quelques auto-citations (les lampes clignotantes des pèlerins, les empilements de corps [4]) que Christian Rizzo souligne les utopies, abolit les frontières entre le moi et le non-moi, confond les opposés.
Tannhäuser, lié à Vénus par un foulard rouge, comme un pacte signé de son sang, porte le diable avec lui. Même à Rome.
Le Venusberg et la cour de la Wartburg (près d'Eisenach, là où sévit ce petit avorton de Kleinzack [5]) sont deux prisons minérales, aux murs gris et froids, rugueux chez Vénus, lisses à la cour - comme doivent l'être les gens comme il faut. Mais dans ce lisse, tout est apparence, déguisement, on est engoncé dans ses vêtements comme dans ses creuses idolâtries, ses conventions factices [3], on marche mal avec des talons trop hauts : aux corps-chairs qui s'entremêlent aux pieds de la déesse s'opposent les corps absents, disparus sous des superpositions de vestes, de coiffures, bridés par des obi.
Un corps noir, corps négatif, anti-corps, le non-corps de Tannhäuser, hante le plateau de sa présence en creux. C'est ce non-corps qui emportera le vêtement vide de Tannhäuser dans la retraite éternelle d'Elisabeth tandis que Wolfram étreindra le vêtement vide de son amour perdu. C'est encore ce non-corps qui apportera le corps de la morte. Absence, disparition.

Le ballet de corps-chair, qui devrait être au Vénusberg mélange de volupté et d'inquiétude [3] semble hélas superficiel, sans netteté, comme mal exécuté, et gâche quelque peu la somptueuse ouverture : cette grotte où l'enfer se déguisait sous des charmes décevants [3]... S'ensuit une vulgaire scène de ménage, avec hurlements et vociférations d'un Heldentenor (Peter Seiffert) qui fait beaucoup trop dans le Helden et pas assez dans la nuance. On pardonnera les grincements dans l'aigu de Vénus (Jeanne-Michèle Charbonnet) annoncée souffrante - les grottes sont humides et froides...

Aux impulsions violentes [3] s'opposent celles, sublimes, de Wolfram (Lucas Meachem), des chanteurs (belle rudesse chevaleresque [3] du Biterolf d'Andreas Bauer), de la harpe en loge d'avant-scène (Gaëlle Thouvenin), et d'Elisabeth (Petra Maria Schnitzer) - une Elisabeth invoquant magnifiquement la madone depuis ce rocher incongru qui devient grotte de Lourdes, la non-grotte de Vénus.

(Crédit photo : Patrice Nin)
Malgré deux départs approximatifs sur les Halleluja !, les chœurs sont saisissants dans le passage des pèlerins – absence, présence, absence. Le noir se fait, les corps disparaissent, seules restent les lampes, mortuaires, rédemptrices. Que devient ce Tannhaüser enfin libéré de son conflit ? Tout comme le Faust de Goethe ou de Gounod, nul ne le sait. Peut-être ce non-corps qui quitte enfin la scène.

[1] Charles Baudelaire – Richard Wagner et Tannhaüser à Paris, in L'Art romantique, 8 avril 1861
[2] Corinne Schneider – Tannhaüser, Orphée allemand ?, Tannhaüser, programme de salle du Théâtre du Capitole, juin 2012
[3] Franz Liszt – Le Tannhaüser, Journal des débats, 18 mai 1849
[4] Christian Rizzo - Soit le puits était profond, soit ils tombaient très lentement, car ils eurent le temps de regarder tout autour, 2005
[5] Jacques Offenbach – Les Contes d'Hoffmann, 1881


Théâtre du Capitole, 29 juin 2012



dimanche 8 juillet 2012

To Rome with love : la commedia non è finita


Woody Allen, qui ne se voit pas en retraite avant 40 ou 50 ans, pose la question de la célébrité : à quoi tient-elle, que permet-elle ? C'est un film non linéaire, absurde, drôle, brouillon, impertinent. Et une critique piquante des mises en scène d'opéra.

© Bayreuther Festspiele, Enrico Nawrath
Voici donc évoqués un Rigoletto où tout le monde est habillé en souris blanche – allusion au Lohengrin proposé par Hans Neuenfels au festival de Bayreuth (2011) –









© Antoni Bofill


et une Tosca dans une cabine téléphonique – écho de la Carmen de Calixto Bieito au Liceu de Barcelone (2010).












Fabio Armiliato est remarquable en croque-mort qui ne chante bien que sous la douche. Qu'à cela ne tienne, ce sera sous l'eau qu'un Canio au maquillage dégoulinant chantera au Teatro dell'Opera son Vesti la giubba et poignardera Nedda et Silvio qui viendront délibérément se jeter sous la lame. « Imbécile » cette mise en scène de Pagliacci ? Pas plus que certaines autres...