samedi 18 janvier 2014

Falstaff : pansu, goûtu, cornu


John Maestri et Ambrogio Falstaff ne font qu'un, hénaurme, ripailleur, cavaleur. Les commères joyeuses, généreuses, plantureuses, ne sont pas en reste. On boit, on mange, on drague. Robert Carsen met la table et les amoureux se cachent sous les nappes.


Le petit lever de Sir John est un cérémonial de corset vert ceint sur des dessous douteux par des domestiques avinés, au milieu de bouteilles vides et de nappes tachées. Les dames mangent d'énormes gâteaux dans un restaurant chic où des serveurs stylés jouent à cache-cache avec les jeunes filles. Mais lorsqu'elle sont chez elles, ces dames préparent des dindes dans leur immense cuisine Formica jaune dernier cri, dont les placards recèlent quantité de boîtes, paquets de lessive Omo et chandelles d'époque bien rangés. Tout finira par terre, dans le chaos de la chasse au séducteur d'entre deux et trois, qui s'achève au ralenti dans un extraordinaire mouvement de bateau à aubes des assaillants vers la table nappée. Il y a des massacres de cerf partout, et quelques branches de lunettes, autant de cornes de cocu.



La précipitation de la corbeille à linge dans la Tamise fait basculer de l'hyper réalisme dans l'onirisme, des petits détails dans l'extrême sobriété. Falstaff échoue sur un tas de foin dans l'écurie sombre, en tête à tête avec un cheval indifférent qui ne pense – lui aussi – qu'à manger. Les joyeux comploteurs, tels vampires et fantômes, entrent par les stalles. Pas de chêne du Chasseur noir, mais des ombres gigantesques, fantastiques, inquiétantes, et une forêt de bois de cerf, mouvante sur le ciel étoilé, chacun portant ses rami enormi.






On est heureux et ému de revoir James Levine au pupitre, qui dirige de main de maestro depuis son fauteuil. Le trio des commères (Stephanie Blythe – hilarante, Angela Meade, Jennifer Johnson Cano), dont une Meg ressemblant à Jeanne Moreau dans Ascenseur pour l'échafaud, est parfait ; les amoureux (Lisette Oropesa et Paolo Fanale) jeunes, frais et espiègles ; parmi les deux domestiques, le Pistola de Christian Van Horn impressionne par sa voix sombre et profonde, sa présence magnétique.






Si le Ford de Franco Vassallo, qui passe aisément du strict costume trois pièces à une sorte d'Elton John arborant chemise en satin et bagouses, est quelque peu écrasé par l'envergure de son imposant partenaire, son E sogno ? o realtá est remarquable.






 Ambrogio Maestri savoure son Falstaff comme il hume son risotto ai funghi, et projette son baryton généreux aussi facilement qu'il avale sandwichs et cuisse de dinde. Mimant L'Onore !, dansant Va, vecchio John façon music hall, il est tour à tour hilarant, émouvant, léger, lourdaud. Menant la fugue finale sur la table comme le couturier conduit son défilé, c'est par un Viva Verdi ! tonitruant qu'il la conclut, couvrant même les ovations.



Photos © Ken Howard

Metropolitan Opera HD, 5 janvier 2014