dimanche 19 juillet 2015

Alceste : le masque de la mort noire


Sur la scène du Palais Garnier se dessine le Palais Garnier, surgissant du geste virtuose de cinq dessinateurs – effaceurs. Des tableaux noirs, de la craie, des balais éponges : le décor, arbres, flots, navire, ville, se crée et se défait, palimpseste sans cesse réécrit. Que restera-t-il du spectacle ? Un rideau esquissé et aussitôt effacé. Rien.



Olivier Py et son complice Pierre-André Weitz proposent une vanité en noir et blanc, ancrée sobrement sur leurs traditionnels leitmotive : les escaliers en mouvement, la table de maquillage, les néons, le petit lit blanc, les aphorismes. En robe noire, la mort, spectre androgyne sans visage, les bras prêts à embrasser, virevolte, s'interpose, nargue, offre le poison et le couteau. En contrepoint du noir épouvantable [1], les enfants royaux – incarnés par deux jeunes gens en tee-shirts blancs – se font des chapeaux avec les journaux qui annoncent les mauvaises nouvelles, jouent au ballon, courent, se cachent.

Désespoir politique. Le chœur en deuil se lamente de la mort annoncée de son roi, qui gît sur un lit d'hôpital. L'oracle médecin en blouse blanche et stéthoscope tente un massage cardiaque pour remédier à un électrocardiogramme follement tracé. Mais c'est l'Apollon de craie de Garnier qui lui dicte l'ordonnance. Ἀνάγκη, le nécessaire sacrifice d'autrui. C'est Alceste qui donnera son cœur pour sauver son époux.





Seule la musique sauve. Sur fond de bacchanale où les corps se rapprochent, de danse sensuelle à fleur de peau, Admète et Alceste, le désormais vivant et la presque morte, se parlent sans se comprendre, se cherchent sans se trouver, montant et descendant ces escaliers noirs où la mort partout s'interpose.




Et ce sera la spectaculaire catabase dans la fosse vidée de ses musiciens et devenue Enfers, ces horribles lieux, enfumés, hantés de spectres effrayants à têtes de mort. À cour, Pierre-André Weitz dessine un squelette hideux et hilare, les bras ouverts, sur son destrier.





Véronique Gens se donne corps, âme et voix dans une bouleversante incarnation d'Alceste, figure tragique, forte et déterminée. L'interpellation des Divinités du Styx est un sommet d'autorité et de grandeur. Stanislas de Barbeyrac oppose sa blondeur juvénile et son chant lumineux à la mort qui rôde. Passant de la soutane austère et du missel au frac et au haut-de-forme, du visage fermé au sourire aguicheur, Stéphane Degout est un Grand Prêtre impressionnant puis un Hercule facétieux. Superbe quatuor des coryphées, avec mention spéciale à Chiara Skerath. François Lis est légèrement en retrait en oracle médecin. La diction de tous est exemplaire, ce qui dispense de coups d'œil fastidieux au surtitrage. Marc Minkowski dirige d'en bas, d'en haut, devant, derrière et sur le côté, accompagnant avec attention musiciens, chœur et solistes.


Franck Ferrari devait être cet Hercule prestidigitateur dont le haut-de-forme recèle paillettes et tourterelle, et qui a de petits arrangements avec les Enfers. Lui qui devait écrire cet ultime intertitre sur tableau noir : La mort n'existe pas. Palimpseste de l'artiste lui-même qui résonne étrangement dans la proposition d'Olivier Py : un comédien quitte la scène, un autre reprend le rôle – Le temps te consolera ; un mort n'est rien [2]. Si, la mort existe, Hercule ex machina n'est qu'un illusionniste : ce n'est que le fantôme d'Alceste qui reparaît, voilé de noir. Admète renoncera à lever ce voile.

[1] Martine Kaufmann – Les larmes d'Alceste. In Alceste, programme de salle de l'Opéra de Paris, 2015.
[2] Euripide – Alceste. In Alceste, programme de salle de l'Opéra de Paris, 2015.

Photos © Julien Benhamou / Opéra National de Paris

Palais Garnier, 7 juillet 2015