mardi 21 novembre 2017

La Rondine : une hirondelle qui fait l'automne

On pouvait craindre deux choses avec cette reprise de La Rondine : que la production (2002) de Nicolas Joël ait pris la poussière et que les interprètes soient écrasés par l'ombre d'illustres prédécesseurs. Craintes balayées, cette hirondelle fait l'automne et Puccini est sublimé.

C'est le Figaro que ces messieurs lisent, dans ce salon où l'on fume et où l'on disserte sur l'amour pour tromper l'ennui, sous le regard des belles alanguies des panneaux muraux. Ces dames rivalisent d'élégance et de beauté. On papote et on fait des vers ; mais légèreté, paillettes et bijoux faciles masquent des regrets.
Ennuyeux, ce premier acte ? Pas un instant. Reprenant la mise en scène, Stephen Barlow n'a laissé au hasard aucun geste, aucun regard, aucune expression.


Chez Bullier, buveurs et danseurs s'adonnent à la folie de ces années dans un désordre de petits détails réglés au millimètre jusqu'au lointain qu'on voit à peine. On a de la tendresse pour ce vieux pochard en frac, à jardin, qui bat la mesure avec sa bouteille, et ira en titubant tenter d'offrir une rose à la dernière cliente.
Et à Nice, c'est une superbe verrière de treilles qui abrite les amoureux. Le majordome en referme les battants : verrière, volière, cage. Le passé rouvrira une porte et l'hirondelle s'envolera.



Magnifique, naturelle, très expressive, Ekaterina Bakanova compose une Magda idéale. Sa dernière note, celle de l'envol, dans le noir qui se fait, est bouleversante. Son Ruggero n'atteint pas la même finesse et le personnage est moins bien caractérisé, le côté provincial, sans doute. Dmytro Popov chante bien et fort, mais sait se discipliner pour nuancer son dernier acte.



La Lisette d'Elena Galitskaya est irrésistible d'aigus et de drôlerie, comment donc se fait-il que le théâtre de Nice l'ait huée ? Formidable Prunier de Marius Brenciu, qui fait passer l'ambiguïté amoureuse de ce manipulateur de soubrette tout en offrant de superbes passages en voix de tête.
Le rôle est court, mais Gezim Myshketa propose un Rambaldo à la ligne de chant immédiatement séduisante. Les trois dames (Norma Nahoun, Aurélie Ligerot et Romie Estèves) sont parfaites. Tous les petits rôles sont très bien tenus, en particulier par les artistes du chœur. L'ensemble du chœur fait merveille chez Bullier, chant, mouvements et jeu admirablement réglés.

Et on est emporté par cette musique immédiatement reconnaissable que subliment Paolo Arrivabeni et l'Orchestre du Capitole. N'en déplaise aux grincheux qui trouvent, à l'entracte, que « ce n'est pas assez dramatique », c'est bien la musique et le chant qui, ici, font chavirer.

Capitole, 19 novembre 2017
Photos © Patrice Nin

dimanche 5 novembre 2017

Falstaff : la mélancolie des soirées en demi-teinte


D'où vient que l'on sort de cette première avec un arrière-goût de déception, une sensation que ce Falstaff n'était pas un grand Falstaff ? Certes on a ri, mais on n'a pas été ému.
La scénographie d'abord, qui en dix-huit ans a pris un peu la poussière. Les panneaux coulissent en fond de scène, du garage à la laverie de Mrs Quickly, des murs de ce port de la Tamise au sombre chêne du Chasseur noir, ni sombre, ni chêne, simplement projeté sur la brique. Quelques figurants figurent et les nécessaires accessoires sont là, bien que relégués dans des coins, paravent très à cour, panier très au lointain. Il ne reste de la mise en scène que quelques gestes esquissés ou bien les gros effets de gros ventre. Point de façons dans les Après vous… Je vous en prie entre Falstaff et « Fontana », point de révérences aux Reverenza de Mrs Quickly, point de mystère sous le chêne qu'il n'y a pas.

C'est donc la musique de Verdi, dont Fabio Luisi cisèle les moindres détails, qui fait le spectacle, ainsi qu'une partie du plateau vocal.





Bryn Terfel semble étrangement à côté de son vecchio John, affublé d'une panse trop grosse, jouant sans grande conviction le comique plutôt que le sensible, comme désabusé, fatigué. Si la voix du grand Terfel est bien là, elle est à plusieurs reprises couverte par l'orchestre. L'artiste se mettra également en retrait aux saluts. Franco Vassalo campe en revanche un très beau Ford, qui laisse présager le meilleur pour son futur Scarpia. Varduhi Abrahamyan est très loin de Mrs Quickly, sans graves ni truculence. Aux côtés de la belle Meg de Julie Pasturaud, Aleksandra Kurzak manie son monde avec entrain et voix fruitée, malheureusement elle aussi couverte par l'orchestre ici ou là. Francesco Demuro est un peu pâle en amoureux transi. Excellents et très sonores Graham Clark (Dottore Cajus) et Rodolphe Briand (Bardolfo), le Pistola de Thomas Dear restant plus discret.



Mais un ange passe dans l'immense salle lorsque chante l'exquise Nanetta de Julie Fuchs : le temps s'arrête, suspendu à un aigu cristallin presque irréel de longueur et de légèreté.

Opéra Bastille, 26 octobre 2017
Photos © Sébastien Mathé