À
l'Opéra Bastille récemment, le couple Koch-Kaufmann était déjà
sublime. À
New York, il sont juste à pleurer. Et j'ai pleuré. [1]
Les
murs effeuillés penchent, une pleureuse impressionnante garde
l'entrée de la demeure du bailli. Tout semble bien rangé et bien
établi, tout va de travers. Même les parasols luttent contre la
pesanteur. Loin de l'esthétique dépouillée de Benoît Jacquot,
Richard Eyre a « ajouté des mots au livret » et
moult détails, figurants, assiettes, fleurs, mort et enterrement de
la mère, noirs corbeaux de mauvais augure ; l'explicite est
envahissant. Au 3e acte, rien n'est plus de guingois : le poêle est
monumental, les bibliothèques écrasantes ; seuls corps et lettres
connaîtront un grand désordre.
Albert
est en uniforme militaire, qui donne une bonne raison à sa longue
absence. Chez le bailli, chacun est endimanché, et on a du gâteau
au chocolat pour goûter – et mes enfants exigent que ma main /
leur coupe chaque jour leur pain. Werther est privé de son frac
bleu avec gilet jaune [2] et porte un long manteau noir,
malheureuse négation de l'inspiration des premiers adeptes de la
costumade [3]. Mais tout est dans sa lavallière. D'abord
bien mise, elle se dénoue et se défait, comme le costume, comme la
vie, d'acte en acte.
Charlotte
masque par les toilettes sophistiquées, la distance, le port altier,
la froideur, son infini regret d'avoir tenu sa promesse, ce mariage
qui trois mois après assoit chaque conjoint à bonne distance sur
les bancs. Fatigue de la dernière ? les aigus de Sophie Koch
semblent préparés avec un effort physique perceptible mais la scène
des lettres, scène de folie, touche en plein cœur.
En
petite sœur qui se verrait bien Madame Werther mais déchante vite,
Lisette Oropesa est pétillante, légère. L'aigu est facile mais
consomme totalement la diction du joyeux. L'Albert de David
Bižić
est l'anti-Albert de Ludovic Tézier : bienveillant, amical, bonne
poire ; mais bien obligé de chanter de ton pour imposer à sa femme
de donner les pistolets au valet de Werther.
Charlotte
revêt à la hâte une robe de chambre et reste plantée là, tandis
que la petite chambre s'avance depuis le fond de scène - comme chez
Benoît Jacquot. Plagiat ?
C'est
un suicide longuement préparé. Il envisage la balle dans la tête
(Il s'était tiré le coup à travers la tête au-dessus de l'œil
droit, la cervelle avait jailli au dehors [2]), se ravise et vise
le cœur, ou à côté – fort heureusement, il ne pourrait y avoir
ce semblant de vraisemblance dans l'agonie si longuement chantée,
cette force pour monter sur le lit, puis s'en relever, se mettre
debout, avant d'expirer enfin. À
la faveur d'un éclair aveuglant et du talent des techniciens de
plateau, le sang gicle jusque sur les murs. Charlotte rejoindra le
mourant dans son lit, et considérera les pistolets pour elle-même.
On craignait pour la vie de Lotte [2].
[1]
Fabienne Pascaud. Infiltrée dans les coulisses du MET – Les
divas en gros plan. Télérama n° 3349, mars 2014
[2]
Goethe. Les souffrances du jeune Werther (1774). GF Flammarion
[3]
terme recommandé par la Commission générale de terminologie et de
néologie pour cosplay, Journal Officiel, 16 octobre 2011
Photos
© Ken Howard
Metropolitan
Opera Live in HD, 15 mars 2014