dimanche 29 juillet 2018

Opéra baroque 2017-18 : Rodolfo Pesquet et les lois de la physique

La Bohème dans l'espace a alimenté un comique de répétition dans les critiques d'opéra de la saison 2017-2018 et gageons que ce n'est pas fini.
Depuis la mission Proxima et son hyper-médiatisé Thomas Pesquet, l'espace est furieusement  tendance et les scènes d'opéra n'échappent pas à la mode. Bien évidemment cela ne fonctionne pas, essentiellement parce que ce qu'on voit ne colle pas à ce qu'on entend et qu'un livret envoyé en orbite a du mal à conserver sa cohérence. En outre, même si on admet beaucoup d'invraisemblances sur scène, considérer l'espace comme n'importe quel lieu terrestre tourne vite au ridicule.

Donc nos quatre amis Rodolfo, Marcello, Schaunard et Colline ont embarqué dans un vaisseau spatial, certainement tentés par le Méphisto Hawking d'il y a deux saisons. La Bohème en Damnation de Faust 2, ça se tient. Mimi, le Café Momus ? Fantômes, souvenirs, délires.


Donc ce vaisseau, dans lequel les astronautes se déplacent et manipulent des objets sans contrainte d'impesanteur, comme on le ferait, par exemple, dans une mansarde sous les toits de Paris, est en perdition. Tellement en perdition qu'il est fixe par rapport à la « planète inhospitalière » que l'on voit par l'immense baie vitrée – point de hublot ici. À moins qu'il ne soit en orbite planète-inhospitalièro stationnaire.
Entre chaque acte, des intertitres façon film d'espace et bruitage assorti, car il est bien connu que le vide interstellaire fait du bruit.
Le vaisseau est tellement en perdition qu'il s'écrase sur la fameuse planète inhospitalière. De désespoir, Schaunard et Colline enlèvent leur casque et meurent instantanément sur le bord d'un cratère. Mais le super-héros Rodolfo est bien au-dessus de ces contingences somme toute très terrestres. Tête nue, il finira par s'écrouler, mais après une bonne demi-heure d'apnée.

Opéra Bastille, 7 décembre 2017

dimanche 22 juillet 2018

Opéra baroque 2017-18 : tomber la veste


Dans son éditorial du n°134 d'Opéra Magazine (décembre 2017), Richard Martet fustigeait le nouvel uniforme de scène qu'est le complet-veston. Pour ce que nous avons vu de cette saison en effet, les messieurs du cortège funèbre de Miranda (1), Philippe II et Posa (2) – version trois pièces col ouvert, le comte Almaviva – version décontractée sur T-Shirt blanc – et Don Bartolo (3) – version trois pièces cravate, Boris Godounov (4), ainsi qu'au théâtre l'usurpateur du trône de Milan et ses courtisans (5) et Néron (6), ressemblent tous à nos collègues de réunion, à nos chefs, ou à nos voisins de salle (lorsqu'ils « s'habillent » pour une soirée au spectacle). Ce n'est pas forcément incongru – sauf lorsque Boris est couronné, verrait-on un président de conseil d'administration avec une couronne d'apparat sur la tête ? – mais prodigieusement lassant.

Cependant le complet-veston permet un jeu de scène qui serait impossible à réaliser avec une toge, un pourpoint, une armure ou un scaphandre : tomber la veste. Car un avatar du complet-veston est le bras de chemise. Les questions qui se posent alors sont quand tomber la veste et quand la remettre, quand la porter dans sa main droite, dans sa main gauche ou à deux mains, quand la mettre sur son épaule, etc. Le plus souvent ces mouvements de veste plongent le spectateur dans la perplexité : pourquoi l'enlève-t-il, pourquoi la remet-il ?

Par exemple, dans cette magnifique et judicieuse interprétation du « site riant aux portes du couvent de Saint-Just » transformé en salle d'armes par Krzysztof Warlikovski (2), la confrontation de Philippe II (complet gris) et Posa (complet noir) est ponctuée de mouvements de vestes dont on cherche la signification. Philippe II tombe la veste dès le début de la scène, la confie à son valet (lui aussi en complet-veston, avec cravate), puis la reprend après quelques répliques, puis finalement se ravise et la confie de nouveau au valet. Posa de son côté tombe la veste au milieu de la scène, la garde à la main, se résout à la poser, la reprend, la considère, semble y trouver courage et détermination.

Mais c'est quand il n'y a pas de valet pour aider l'interprète chantant ou déclamant à remettre sa veste que tout se complique : on assiste alors à des quêtes désespérées de la seconde manche, voire à des abandons purs et simples.

(1) Miranda, Opéra-Comique, Paris, 29 septembre 2017
(2) Don Carlos, Opéra Bastille, Paris, 11 novembre 2017
(3) Il Barbiere di Siviglia, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 8 décembre 2017
(4) Boris Godounov, retransmission en direct de l'Opéra Bastille, UGC Toulouse, 7 juin 2018
(5) La Tempête, Comédie-Française, Paris, 5 février 2018
(6) Britannicus, Comédie-Française, Paris, 1er juillet 2018

dimanche 15 juillet 2018

Opéra baroque 2017-18 : 21h15 à la montre de Boris G.


Le Boris de Ivo van Hove est en costume-cravate, le peuple en jean, sweat à capuche ou doudoune bleu pétrole. Ce pourrait être une répétition, chacun étant là comme il est, avec ses baskets, ses lunettes, sa gourmette.
Donc Boris porte une montre. Certainement invisible dans ses détails depuis n'importe quel siège de Bastille. Mais rien n'échappe à la caméra. Un gros plan sur Boris et – ah tiens ! il est 21h15. Exactement l'heure de Bastille, l'heure de cette salle de Toulouse.
Qui est donc celui qui est là ? Boris Godounov ou Ildar Abdrazakov ?

Plusieurs hypothèses s'offrent à nous :
  • Ildar Abdrazakov a oublié d'enlever sa montre avant d'entrer en scène, le costume-cravate qu'il porte est le sien, il l'a gardé en sortant du bureau ; il a quand même pris soin de déposer son attaché-case et sa carte Navigo dans sa loge.
  • Un type qui se fait passer pour Boris Godounov a piqué les vêtements et la montre d'Ildar Abdrazakov dans sa loge (Ildar Abdrazakov, lui, est ligoté dans sa loge dans les habits de Boris).
  • Un type chante le personnage d'Ildar Abdrazakov en train de chanter Boris à 21h15.
  • Le metteur en scène pousse la transposition à notre époque jusqu'à la transposition en temps réel.
  • Le metteur en scène veut nous montrer qu'il n'y a pas de mise en scène (on le croit aisément).
Si Rigoletto ou Falstaff avaient une montre, ils n'entendraient plus jamais les douze coups de minuit puisque les représentations, sauf peut-être celles des festivals d'été, se terminent bien avant. Sparafucile pourrait remplir son sac de patates et les fées aller se rhabiller.

Boris Godounov
Retransmission en direct de l'Opéra Bastille, UGC Toulouse, 7 juin 2018

dimanche 8 juillet 2018

La Clémence de Titus : pour les messieurs dames


La reprise de la mise en scène de David McVicar n'est plus qu'une gesticulation bien fade, ambiguïtés, politiquement incorrect et symboles ont été gommés. Tito et Sesto restent désormais à bonne distance l'un de l'autre, plus d’étreinte passionnée, plus d'ultime baiser refusé. En revanche le même Sesto cherche à enlacer et embrasser Vittelia à tout bout de champ et de chant. La complexité du dilemme ne s'exprime qu'à grands effets de parapheur violemment jeté à terre. Mais les ninja romains sont toujours là et toujours assidus dans leur pratique des kata en nito avec kiai et mines menaçantes. Et Vitellia est toujours fagotée.
Titus Flavius Sabinus Vespasianus
Argent, Cornaline
Bustes des douze Césars
XVIe siècle
Musée du Louvre

Ces dames en pantalon, le Sesto de Rachel Frenkel et l'Annio de Julie Boulianne sont magnifiques. Inga Kalna a toutes les notes, et en particulier les terribles graves et d'émouvants piani, de Vittelia, mais pousse la puissance des aigus jusqu'au désagréable. Le Tito de Jeremy Ovenden inquiète au début avec une sorte de prudence et des fins de phrases comme évitées, mais convainc dans son air de dilemme. Le petit rôle de Servilia est admirablement tenu par Sabina Puértolas et Publio fait découvrir le talent d'Aimery Lefèvre dans la noiceur et l'extrême grave. C'est le sourire d'Attilio Cremonesi qui dirige très attentivement, chœur et orchestre surélevé parfaits, sublime cor de basset. Et on a l'immense plaisir de pouvoir, jusqu'au dernier rappel, applaudir les musiciens heureusement prisonniers de leur fosse.

Capitole, 24 juin 2018