samedi 30 juin 2012

Arthur : enchantement à Saint-Pierre


Le pub de St-Peter-of-the-Kitchens est en ébullition : bière, catches et verbe haut devant les télés qui crachent un Scotland-something. Rugby of course.

King Arthur est une étrange œuvre lyrique : les principaux protagonistes ont des rôles parlés, les parties de chœur sont concentrées dans la première moitié, bref, on jouera plutôt Didon et Enée. Ouverture.


Erreur, aujourd'hui c'est bien Arthur. Emergeant de sa boîte, un chapeau melon bonimenteur explique cette histoire inextricable.

Grimbald


Philidel, Emmeline
C'est par SMS qu'Arthur reçoit les instructions de Merlin, haut-de-forme blanc sur échasses. Conon, en treillis et rangers, scrute l'horizon de ses jumelles infrarouges. Philidel ne manque pas d'air avec son œil périscopique ; Grimbald est flanqué d'un ventre de terre à grande bouche.




La mise en scène d'Olivier Baert, harmonieuse osmose du fantastique et de l'humour, fait fi des difficultés du livret et du lieu. Au pupitre devant l'orchestre, mais derrière les chanteurs, Gilles Colliard dirige en ubiquité, relayé par les télés du pub. Le chœur, bien préparé par Rolandas Muleïka, et malgré quelques départs hasardeux (il faut regarder la télé !), commente l'action de belle manière.



Présence vocale et scénique affirmée du baryton Jean-Christophe Fillol successivement Grimbald - sorte de Quasimodo fourbe, Génie du froid – alpiniste transi en blouson et bonnet, et Eole – Clément Ader (bien entendu). On regrettera cependant un What power art thou who from below chevrotant, qui privilégie l'humour aux dépens de l'esthétique. Juliette Paimblanc, en artiste confirmée, rayonne d'espièglerie en Philidel. Hasard ou nécessité de la distribution, l'Arthur de Jean-Sébastien Astolfi paraît bien effacé face à l'Oswald arrogant et musclé d'Etienne Rey. Ce dernier signe le réglage du combat des chefs, admirablement réaliste. Jessica Laryennat est une lumineuse Emmeline à la cécité touchante, cependant qu'Alexandre Rives-Lange devra s'affirmer pour enchanter de manière crédible.

Sirène et sylvain
Entre l'orgie de Eyes wide shut et les dominos masqués de Don Giovanni, How happy the Lover a la grâce sulfureuse d'Audrey Marchal et de Cindy Virazels, sirènes sur stilettos aux voix magnifiquement agiles et envoûtantes. Les sylvains succombent.

Catch final, joyeux retour à la réalité : il faut déjà rendre Saint-Pierre aux examens de fin d'année.

(Photos : Catherine Tessier)



dimanche 17 juin 2012

Tourbillon des sentiments dans l'Italie du XVIIe siècle : d'air et de feu


Ce sont deux voix en fusion, deux voix au-delà des corps, deux voix de l'âme.

Fermez les yeux au premier duetto « Cara e amabile belta » (Orfeo, Sartorio), vous ne savez plus qui est qui, il n'y a plus d'homme, il n'y a plus de femme, seules la pureté et l'esthétique du mélange intime des timbres.

Beauté et émotion des lamenti, humour des duos, alchimie des deux partenaires qui jouent subtilement l'un avec l'autre, avec la salle, avec les musiciens. Les pièces judicieusement enchaînées déroulent une histoire tour à tour tragique, drôle, amoureuse, légère, tourmentée. Tourbillon des passions.

(Crédit photo : Classictoulouse)


Philippe Jaroussky, extraordinaire Sesto (en culottes courtes) du Giulio Cesare in Egitto de Salzburg le mois dernier, est aérien, magique, presque irréel, tandis que Marie-Nicole Lemieux, crinière et robe de feu, est solaire, ronde, charnelle. L'ensemble Artaserse est en parfaite symbiose, les musiciens pleurent ou rient, sont virtuoses à leur tour - magnifique « La monella romanesca » (Cavalli) interprétée par le premier violon Alessandro Tampieri. Tous ont l'humilité des grands.







Applaudissements nourris mais sans ovation d'une Halle aux Grains sous le charme – les manifestations bruyantes ne sont pas du monde de la poésie.  

Les Grands Interprètes, Halle aux Grains, Toulouse, 11 juin 2012

dimanche 10 juin 2012

Le Clavier fantastique : un cauchemar enharmonique


Ah ! tu crois qu’un ré dièze et un mi bémol c’est la même chose, ignare que tu es, oreilles d’âne que tu mérites !

Sous la plume de Graciane Finzi (musique) et Gilbert Levy (livret), la nouvelle de Jules Verne [1] devient une diabolique leçon de solfège que donne un chœur juvénile [2], dans un éclatant tableau chromatique.



A Kalfermatt, on apprend ses leçons, théorème de Pythagore, Guerre de Cent ans, triangle isocèle, 1830 la photographie. Le maître M. Valrügis n’assigne à l’art de la musique qu’un rang très inférieur. A-t-il raison ? Jules Verne était décidément un grand anticipateur...


L'orgue s'est tu, la maîtrise ne chante plus, depuis que le vieil organiste Eglisak est devenu sourd. Mais une nuit, une sorte de Méphistophélès et son sbire souffleur s'introduisent dans l'église - Est-ce que le diable sait jouer de l’orgue ?

Effarane, ce personnage étrange, effroyable, chercheur fou, musicien de l'absolu, entreprend de réparer l'orgue et de le doter du registre des voix enfantines. Audition impitoyable des seize enfants de la maîtrise, les enfants-notes au comma près. Au diable le clavier tempéré ! « Bien, les enfants ! dit-il. J’arriverai à faire de vous un clavier vivant ! »
Une autre histoire d'ogre derrière le buffet d'orgue ?

Tous les seize, nous sommes enfermés dans les tuyaux du grand jeu, chacun séparément, mais voisins les uns des autres […] N’ayant pu ajuster son appareil, c’est avec les enfants de la maîtrise qu’il a composé le registre des voix enfantines, et quand le souffle nous arrivera par la bouche des tuyaux, chacun donnera sa note ! Vision cauchemardesque.

Ce n'était qu'un cauchemar. Les jeux d'orgue ne sont pas des jeux d'enfants.
N’ayant pu ajuster son appareil, ces flûtes de cristal qui devaient produire des sons délicieux, Effarane avait disparu, pour toujours.

Christophe Mangou (crédit photo : Patrice Nin)


L'écriture cinématographique de Graciane Finzi, magistralement interprétée par les musiciens de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse, construit des images successivement tendres, violentes, angoissantes. On pourra juste regretter les toutes dernières mesures (un peu trop) à l'eau de rose. Marc Scoffoni (baryton et récitant) et les deux jeunes solistes – qui ne sont déjà plus des enfants – offrent des intertitres remarquables dans la diction et les émotions. Christophe Mangou peint les sons des jeunes choristes – parfaitement préparés - dans une gestuelle précise, spectaculaire, magnifique. Quel maître de solfège, et quelle habileté il mettait à nous faire vocaliser !



Jamais un musicien n'osera mettre pareil sujet en musique ! Monsieur Verne, il ne faut jamais dire « jamais »...



[2] Enfants d'écoles primaires et de collèges de Toulouse, préparés par leurs professeurs ; chœur d'enfants La Lauzeta, chœur de jeunes Les Eclats, préparés par François Terrieux.

Halle aux Grains, Toulouse, 9 (générale) et 10 juin 2012

dimanche 3 juin 2012

Les Indes galantes : pertinence et impertinence


On en avait entendu, dans les chaumières bien pensantes !
La faute à Rameau, ce dangereux novateur (D'Alembert), ce génie étouffé par trop de savoir (Rousseau) ? A Fuzelier et son livret engagé, qui relate l'actualité du moment [2], prétexte pour critiquer la civilisation [1] ?

Les Indes galantes sont un aimant à public et à création [3]. Laura Scozzi et Christophe Rousset donnent autant à voir qu'à écouter [4]. La reconstitution historique ne pouvant qu'être illusoire, la mise en scène en appelle résolument au contemporain [1], à l'actualité de notre moment, tout en étant extrêmement respectueuse de la musique et attentive aux chanteurs.

Végétation luxuriante où surgissent ça et là les flèches rouges de quelque Amour joueur, murmure d'une fontaine. Une troupe de jeunesse […] accourt et forme des Danses gracieuses, on batifole, on se poursuit dans la lumière douce qui magnifie les corps. Hébé distribue de sa voix cristalline des pommes rouges à croquer. Le duo de musettes s'amuse dans la fosse. Les tableaux les plus riants et les plus agréables [5]. On danse dans l'insouciance, peaux sans oripeaux.

Un quad fait irruption, C'est Bellone en baryton camouflage et sa quadrille dévastatrice : foot, fric, frites ; costard, curé, converse ; armes et bagages. Les corps beaux sont mués en oiseaux de mauvais augure : armez-vous et devenez guerriers !

(Crédit photo : Patrice Nin)


Faites l'amour, pas la guerre, volez Amours, volez ! Départ pour un tour des Indes en A380. Valise et appareil photo, les trois mousquetaires ? trois petits cochons ? trois génies de la Flûte enchantée ? trois Amours touristes... vont voir si l'herbe est plus verte ailleurs. Las, les flèches rouges déclenchent l'alarme au portique de sécurité. Cupidon est un dangereux terroriste.


(Crédit photo : Patrice Nin)
Plage de Club Med, nos trois Amours lézardent, Osman fait des longueurs avec masque et tuba. Pour épater sa belle captive. Mais Emilie cherche l'ombre et le silence, parasol rouge, lunettes noires et crème solaire. Jusqu'à ce que tout s'envole, le faiseur de vent se déchaîne dans la fosse : le Club Med n'est qu'illusion vite balayée. La tempête fait échouer réfugiés et amoureux perdu. Histoire invraisemblable que ce Valère qui revient de nulle part et en perd sa justesse et ses aigus. Retrouvailles, effusions. Osman, ô sublime vertu ! renonce à sa belle et distribue les passeports. Un autre Titus. Les réfugiés partiront vers un horizon qu'ils espèrent meilleur, Que l'espoir vous guide tous ! Happy end du livret.
Mais l'Emilie du XXIe siècle revient dans les bras d'Osman... La Donna e mobile. Histoire vraisemblable.

(Crédit photo : Nathalie Saint-Affre)

Chacun est le barbare de l'autre. L'or sale que fait cultiver Huescar-Inca, sbire du Sentier lumineux à la voix tatouée de violence dure à l'oreille, c'est l'or qu'avec empressement, sans jamais s'assouvir, ces Barbares dévorent. Phani-Palla préfère le barbare colon au barbare inca, qui se plaît à abattre ses acolytes de sang froid. Dans cet univers de violence implacable, Viens, Hymen est une poésie suspendue [6], la chanteuse est seule avec la musique et atteint des sommets d'émotion (alors qu'un impudent se mouche et tousse au balcon...) Mais le Brillant Soleil oppresse les esclaves de la coca mise en stock. Le commando hélitreuillé de Carlos viendra délivrer la belle Phani. La masure de Huascar, un autre temple du Soleil pour un autre tremblement de terre, prend feu, embrasement spectaculaire. Huascar se jette dans les flâmes de l'Enfer.



(Crédit photo : Patrice Nin)
L'heure de la prière. Complets et lunettes noires, tournés dans la même direction. Les trois Amours, en blanc, sont à l'envers. L'amour fait tout à l'envers. L'heure de la lessive, tapis de prière passés à la machine, étendus sur les fils électriques, les femmes papotent : hommes, amours, doutes. Mais c'est l'heure de la fête. Des fleurs. […] le titre des Fleurs répond-il à l'intrigue ? [7] C'est plutôt l'entrée des déguisements.
Les hommes jouent à la poupée Barbie avec ces femmes-fleurs qui défilent, perruques blondes, escarpins rouges, rouge à lèvre. Nuit, étendez vos voiles sombres. Les hommes cachent leurs jouets sous le niqab. Femmes-fantômes. On rit noir. C'est une Phani désormais voilée qui lance une adresse à ces hommes, la révolution au micro. Emouvants et aériens Fra le pupille et Papillon inconstant, arrête-toy.

Melpomène n'a pas dédaigné de paraître et de placer ses situations tragiques [8].
Le sort des Fleurs dans un Jardin : femmes-objets, femmes-jouets, femmes-esclaves, femmes-victimes. Un ours en peluche marié de force.
Mais à la faveur du faiseur de pluie et de tonnerre de la fosse, les Fleurs abatues par la tempête vont se ranimer et se relever : rébellion, complets noirs chassés, les trois Amours dansent en niqab de pluie... à fleurs.



(Crédit photo : Patrice Nin)
Les sauvages, c'est vous, moi, nous. Nos lotissements, nos meubles en promo, nos amours bâclées, nos ados Y, nos contrats obsèques. Le lit French Comfort vanté par le prétendant français volage, indiscret et coquet [9], la cuisine intégrée à devis gratuit louée par l'amant espagnol, fidèle et romanesque [9]. Femme pour le lit ou pour la cuisine. Les chaumières bien pensantes n'aiment pas se voir en peinture.
Zima préférera, l'amour sans art aux faux attraits. Dans nos Forests on est sincere.





Retour au jardin originel et à son extraordinaire lumière sur les peaux, Regnez Plaisirs & Jeux ; triomphez dans nos Bois : Nous n'y connoissons que nos loix. Un couple passe, vieillesse magnifique, heureuse. Une jeune femme au ventre bien rond brandit sa pomme d'Hébé... toute croquée.
Le début et la fin dans l'Eden, un souvenir qui restera longtemps [10].


[1] Sylvie Bouissou – Indes orientales et Indes occidentales - Journée d'études « Les Indes galantes, opéra-ballet et émerveillement », Théâtre du Capitole, Toulouse, 16 mai 2012
[2] Pascal Dénécheau – Des victoires galantes aux Indes galantes : les différentes versions de l'opéra - Journée d'études « Les Indes galantes, opéra-ballet et émerveillement », Théâtre du Capitole, Toulouse, 16 mai 2012
[3] Frédéric Chambert - Introduction à la Journée d'études « Les Indes galantes, opéra-ballet et émerveillement », Théâtre du Capitole, Toulouse, 16 mai 2012
[4] Michel Lehmann – Parlons-en, conférence d'avant spectacle, Théâtre du Capitole, Toulouse, 15 mai 2012
[5] Hugues Maret – Eloge historique de M. Rameau, Dijon 1766
[6] Jean-Philippe Grosperrin – Le galand, le grand, l'enchantement : les Indes galantes de Fuzelier et Rameau – Journée d'études « Les Indes galantes, opéra-ballet et émerveillement », Théâtre du Capitole, Toulouse, 16 mai 2012
[7] Mercure de France – Réflexions sur l'opéra des Indes galantes, novembre 1735
[8] Louis Fuzelier – Avertissement à Les Amours des Dieux, Ballet héroïque, musique Jean-Joseph Mouret, 1727
[9] Houdar de la Motte – Avis à L'Europe galante, Ballet, musique André Campra, 1697
[10] Michel Lehmann – Introduction à la Journée d'études « Les Indes galantes, opéra-ballet et émerveillement », Théâtre du Capitole, Toulouse, 16 mai 2012


Théâtre du Capitole, Toulouse, 15 mai 2012