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dimanche 10 février 2019

Lucrezia Borgia : le flacon d'or pour madame


Tous sont en noir sauf la Borgia, bal à Venise en manteau blanc, souper à Ferrare en robe rouge. Les colliers Renaissance côtoient les lampes torches et le mobilier design. Murs ajourés et plafonds miroirs font les jeux des lumières et des espions en ombres. On apporte et on ajuste à vue juste ce qu'il faut pour changer de lieu avec fluidité, sans échapper à la gondole et son gondolier. Les lettres de B.O.R.G.I.A. sont cependant trop clinquantes et mobiles pour que la chute du B ait l'impact qu'on attendrait. Gennaro et Maffio ont grandi ensemble, partageant leurs jeux de construction ; ils semblent y jouer toujours, Gennaro très absorbé dans des calculs de structure ou des dessins techniques, Maffio plus turbulent et surtout plus entreprenant – un baiser bien appuyé agrémente le génie civil. Mais pourquoi donc la petite ville décolle-t-elle du sol ?

Si l'esthétique flatte l’œil, les interactions entre personnages sont peu marquées à Venise. Il faut attendre la scène du couple au palais ducal pour que les corps s'engagent, parfois artificiellement, mais créant une tension palpable. La confrontation laisse d'ailleurs cois les nombreux tousseurs.

Les artistes du chœur sont comme toujours excellents et on doit saluer l'excellent Astolfo de Laurent Labarbe. Parmi les autres seconds rôles, c'est le Gubetta de Julien Véronèse qui se distingue. Éléonore Pancrazi, en retrait en début d’œuvre, parvient à s'affirmer ensuite en Maffio exalté et sensuel, même si la projection et les graves restent limitésmais Giacomo Sagripanti veille avec attention à l'équilibre entre plateau et orchestre.
La voix de basse et la présence scénique d'Andreas Bauer Kanabas dessinent un duc de Ferrare animal, fin manipulateur sans noirceur forcée. Mert Süngü en Gennaro exagère en revanche les effets étouffants du poison et donne çà et là quelques notes disgracieuses.
L'entrée en scène d'Annick Massis s'accompagne de quelques craintes : l'artiste est prudente, la technique est visible, les respirations bruyantes. Mais au fil de la représentation, la voix retrouve une fraîcheur et une agilité exceptionnelles ; la dernière lamentation, les trilles impeccables, les aigus filés, les superbes graves, émeuvent aux larmes. Le plafond vient écraser la Lucrezia effondrée sur le corps de son fils, qui ne boira pas le poison à son tour, mais mérite assurément un flacon d'or.

Capitole, 27 janvier 2019

jeudi 25 mai 2017

Lucia de Lammermoor : une folie moins pyrotechnique que passionnante

La grille monumentale, la falaise abrupte, les piliers gothiques, les costumes lourds, disent d’emblée le confinement de Lucia sous la chape de l'implacable volonté familiale. Ses cheveux roux et sa robe verte se fondent dans les ogives rousses et vertes du château : elle fait partir du décor, un meuble donné en gage. Et, figés dans leurs passions stériles comme ils le seraient sur une toile, les personnages ne se regardent pas.

Mais même une mise en scène (magnifiquement) décorative n'échappe pas  aux détails cocasses : Lucia, qui ne peut regarder la fontaine sans frémir, se repose toutefois calmement auprès de ses eaux fumantes ; plus tard, dans la chapelle sans tombe des Ravenswood, les blasons des trois vitraux centraux portent la devise lucia – usurpation d'Ashton marquant son territoire jusqu'au détail des fenêtres ou plaisanterie du décorateur ?

 
Emma Bovary aurait-elle été entraînée vers l'homme par l'illusion du personnage ? Affublé d'une méchante perruque, visage impassible, l'Edgardo de Sergey Romanovsky peine à convaincre de son amour pour Lucia, de sa jalousie, de son désespoir.
On retrouve avec plaisir Vitaliy Bilyy, Enrico solide, bien incarné – sourire du parfait salaud compris ; on lui pardonnera quelques effets un rien emphatiques – on y goûte autant que lui. Malgré un petit accident en fin de son annonce de l'indicible, Maxim Kuzmin-Karavaev offre un Raimundo convaincant. La mise en scène peu caractérisée n'épargne pas l'Arturo vaillant de Florin Guzgă et le Normanno un peu nasal de Luca Lombardo, à peine esquissés. Malgré ses courtes interventions, on remarque la belle Alisa de Marion Lebègue.


Magnifique Comtesse des Noces la saison passée, Nadine Koutcher propose une Lucia déterminée jusque dans sa « folie ». Trilles, piani, aigus semblent naturels, faciles. Sur le plateau déserté par invités et piliers partis sur la pointe des pieds, ses réminiscences sont habitées, mais sans aucun excès. Une Lucia moins pyrotechnique que passionnante.



L'excellence des artistes du chœur est encore une fois à souligner. Maurizio Benini réussit un parfait équilibre entre l'orchestre – où l'on remarque la harpe d'Adeline De Preissac et la flûte de Sandrine Tilly – et le plateau. Le sextuor, où chaque voix se distingue aisément des autres, est un moment fort.

« Edgardo, il m'a fait pleurer, je l'épouse tout de suite », dit une jeune fille en sortant. Il y avait donc une Emma dans la salle.

Photos © Patrice Nin
Capitole, 21 mai 2017

dimanche 10 août 2014

Lucia di Lammermoor : la fleur du puits


Une grande lauze inclinée, pierre tombale prémonitoire. Derrière le donjon du château, le premier quartier de lune, d'un triste rayon, guette le fantôme de la malheureuse [qui] tomba dans l'onde. La fontaine est un puits où les suivantes en bottes vont puiser l'eau maudite.
C'est sur une charrette de suppliciée, escortée d'une théorie d'ombres lugubres, qu'arrive Lucia pour son mariage avec un vieux beau ridicule en veste tapisserie. Signature forcée par la main du frère, signature de trois arrêts de mort.

© Ruth Gross







La noce fiche des roses blanches dans le noir de la lauze. Y fait un lit nuptial avec un suaire immense. La mariée, tachée de sang, s'ensanglante encore avec le contenu d'un petit arrosoir... la tentation du gore mis en scène. Le linceul deviendra corolle d'une fleur éperdue dont le cœur se noiera dans le puits, Lucia rejoignant Ophélie.
Au dernier acte, ne reste plus de Lucia que sa tombe [1].




On oublie les sièges qui s'en vont en poudre, les genoux du voisin, les bravi intempestifs. Les sur-titres sont judicieusement projetés sur le mur du château, à jardin, au-dessus du petit orchestre. L'automne d'août a bien voulu céder sa place à la douceur d'une soirée d'été, et les artistes ont choisi de jouer – rien ne justifiera jamais qu'on ne lève pas le rideau [2]. L'opéra comme un manifeste.

Peu de mise en scène autour de la folie. Gestes scolaires de douleur, d'effroi, de colère. Les hommes enlèvent leur veste, la remettent. Les chœurs des assistants [sont] toujours immobiles [1], sans réaction.

Scéniquement et vocalement, Svetislav Stojanovic peine à endosser le costume d'Edgardo et les aigus sont une réelle souffrance. En revanche Gabriele Nani, regard ténébreux, physique de tanguero et parfaite diction, donne à Enrico toute sa noirceur, même si son beau baryton n'a pas la puissance pour s'imposer à ciel ouvert ; on regrette qu'il disparaisse du dernier acte. Très solide Raimondo de Christophe Lacassagne, qui sera le lendemain méconnaissable en Roi Vlan.

© Claude Bourbon

Burcu Uyar, habitée par Lucia, domine la distribution. Belle projection, coloratures agiles, dialogue émouvant avec l'écho de la flûte fantôme [1]. Une folie poignante dans les ténèbres inquiétantes du château que la lune épouvantée a fuies.

[1] Catherine Clément – L'opéra ou la défaite des femmes. Figures Grasset 1979
[2] Olivier Py – Télérama n° 3364, 2 juillet 2014

Festival de Saint-Céré, Château de Castelneau, 5 août 2014 

samedi 15 février 2014

La Favorite : un ténor et une valise








Vincent Boussard et son décorateur Vincent Lemaire travaillent sur l'épure : les arches en fond de scène, qui se multiplient à jardin dans un miroir, sont cloître ou palais. Un rideau de perles moucharabieh dissimule les courtisans prompts à médire. Cependant la vue au-delà des arcades présente de curieuses taches noires et les accessoires ont tendance à sortir de l'épure : chaises fuchsia, paons posés, en vol, portés, et la valise lumineuse. Mais pourquoi donc Fernand a-t-il une valise, de surcroît lumineuse ? Que contient-elle ? Sa vie temporelle, sa vie spirituelle ? Son feu intérieur ? Sa lampe torche ?













Le hakama et le sweat-shirt à capuche font la bure et le moine tandis que le courtisan arbore longue tunique, perfecto et demi-fraise. Les dames sont des mannequins de couture noirs sur lesquels sont drapés, jetés, empilés ou fagotés taffetas et plis savants, robes inachevées sculptées par les lumières (Guido Levi).



Étranges mouvements des ensembles : ballet des moines au couvent de Saint-Jacques, qui passent alternativement du fond de scène au bord de fosse ; les jeunes filles de l'Île de Léon s'assoient et se lèvent ; la cour piétine avant de trouver le bon pied pour quitter en cortège la salle du palais de l'Alcazar. En revanche le billet intercepté circule de main en main comme le ragot qu'on propage, avec dédain et gourmandise.



Antonello Allemandi a soin d'équilibrer orchestre et plateau, sauf dans la scène de l'anathème, où le chaos devient cacophonie des voix solistes poussées à l'extrême, malaise exacerbé par ce baiser forcé du roi à sa favorite, ce combat au sol, presque un viol.
Giovanni Furlanetto n'impose qu'une autorité discrète en Balthazar, plus à son aise en père protecteur qu'en porteur de la terrible bulle papale. La Léonor de Kate Aldrich donne les beaux graves qui siéent aux femmes sulfureuses, mais aussi quelques aigus plus métalliques qu'angéliques. Le roi de Ludovic Tézier est royal, sauf lorsqu'il doit passer au-dessus de la cour et de l'orchestre offusqués. La révélation de la production est Yijie Shi qui presque au pied levé troque les habits modestes de Don Gaspar pour la valise de Fernand. Dès son air d'entrée À l'autel que saint Jacques protège, l'émotion, intense, submerge : diction française parfaite, merveilleux phrasés, présence sensible, et nul besoin apparent du souffleur qui doit s'ennuyer dans son trou.






Au couvent de Saint-Jacques, le faux novice Léonor, les pieds meurtris, a quitté les robes blanches pour le rouge et le noir. Christian Lacroix l'engonce dans une camisole en forme de cercueil, la tête entièrement enfermée dans une voilette cage. Elle s'en extirpera adroitement pour quitter la scène par l'escalier du fond, laissant un Fernand désespéré avec un texte devenu incohérent (Rouvre les yeux, c'est moi...) et sa valise désormais rangée – et éteinte – pour toujours.



Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 9 février 2014.

vendredi 10 mai 2013

Don Pasquale : un clou, une trompette et un ténor


Extérieur nuit. Lunettes noires patibulaires, les hommes de main de Malatesta élaborent discrètement leur plan dans la rue mal éclairée.
Plus tard passera à vélo le facteur François, revenant juste de son Jour de fête, pour remettre un billet désespéré.
Intérieur jour. Le vieux Don Pasquale étend ses caleçons dans son salon, sous l'œil attentif de sa mamma en portrait. Le mobilier est vieux, le majordome aussi. Le visiteur doit chausser des patins. À l'étage, des ours en peluche. Mais aussi le jeune neveu, l'ado qui se lève tard, les cheveux en bataille et le marcel avantageux.

Orchestre trop fort ou soliste fatigué ? Le Don Pasquale de Roberto Scandiuzzi est quasiment inaudible pendant tout le premier acte et reste vocalement en retrait jusqu'au dénouement. Le baryton de velours de Dario Solari et son élégant Malatesta lui vole aisément la vedette. Le difficile duo syllabique Quatti quatti est cependant une belle réussite, l'effet rhinocéros sans doute.


Norina, un brin vulgaire, mal fagotée, lit les amours du chevalier Riccardo dans la revue Epoca en vociférant des aigus aussi criards que la décoration de son intérieur. La voix trop puissante de Jennifer Black, qui peut seoir à la harpie, s'adoucit heureusement dans le duo Tornami a dir che m'ami pour un bel équilibre avec celle de son jeune partenaire.


Le coup monté par Malatesta, faux mariage avec fausse sœur, fait du démon de midi de Don Pasquale un enfer kitsch où, Argan coincé dans un siège de plastique suspendu par une chaîne, il subit la torture d'un tas de factures. Est-ce l'Espagne en toi qui pousse un peu sa corne ? Rouge le rhinocéros et jaune le clou démesuré qui descend des cintres, artifices pour lourdement enfoncer le clou de la métamorphose outrancière qui déguise son monde en costumes d'hôpital et perruques bleu pétrole.

Après un précipité où les gars louches passent et repassent à l'avant-scène avec les pièces détachées de la Vespa volée à Ernesto, dans le faisceau de la lampe torche d'un Pasquale aux abois, on s'attend à voir arriver dans le jardin le Chasseur Noir et les cornes de Falstaff près des trois arbustes aux allures de chêne de Herne.



Mais le véritable clou de la soirée est la trompette triste de René-Gilles Rousselot, musicien de rue assis sur l'étui de son instrument, qui dialogue sous un néon blafard avec le Povero Ernesto de Juan Francisco Gatell, dont la voix de soleil, légèrement nasale, a un charme irrésistible.

Théâtre du Capitole, 30 avril 2013

Photos © Patrice Nin

samedi 26 janvier 2013

Maria Stuarda : high drama and queens


Rouges les poutres et les bouffons obscènes du château de Whitehall. Rouge l'improbable mariage du pantalon et du vertugadin dans la forêt de Fotheringay. Rouge la robe de mort. La seule provocation visuelle de David Mc Vicar, que l'on connaît plus fou, surtout quand il traite avec le diable.

 ©  Joyce DiDonato

Les reines se battent en duel à mots non mouchetés. Dans cette forêt lugubre de troncs calcinés, barreaux de prison sur une toile peinte de gris et noirs, la confrontation – pure fiction née de l'imagination de Friedrich Schiller – est battements, fouettés et bottes, vérités assassines : Figlia impura di Bolena, Figlia bastarda lance Marie Stuart à Elisabeth dans une scène sous très haute tension. Mais l'une a le pouvoir que l'autre n'a pas. Des années et intrigues plus tard, Elisabeth signera la condamnation à mort de sa rivale.

 ©  Sarah Krulwich





Mais l'autre ennemi, qui n'épargne pas même les puissants, est le temps qui passe. Déchéance du corps, alopécie que masquent difficilement perruques et fards exagérés, robes et bijoux : Elisabeth ne veut pas se voir si laide en ce miroir. Loin de là, Marie reste belle en ses noirs oripeaux, secouée de tremblements séniles.





La jeune Elza van den Heever, stature de Walkyrie, a la voix parfois désagréable, stridente dans les aigus. Mais sa composition d'Elisabeth, très inspirée de celle de Bette Davis (The Private Lives of Elizabeth and Essex, 1939) est celle d'une véritable actrice : la féminité ne peut exister devant les responsabilités. Elza van den Heever a même poussé la perfection jusqu'à se raser le crâne pour éviter les marques de bonnet sous les perruques posées haut sur le front.

Les hommes sont écrasés par les reines. Matthew Polenzani, récent Nemorino d'une extraordinaire Furtiva lagrima, est là en retrait, comme emprunté dans ce rôle trouble de Robert Dudley, qui fait semblant d'aimer une reine et l'autre – encore un fruit de l'imagination de Schiller.

 ©  Ken Howard






L'émotion est portée par l'interprétation subtile de Joyce DiDonato, en Marie idéalisée.
Sa poignante confession à Talbot dans cette cellule aux murs couverts des casket letters en graffitis, préfigure la scène de folie de Lucia, les fantômes hantent les intrigues chiffrées autant que les amours trahies.





Bouleversante est la prière finale qui émerge du chœur, et cette note pianissmo, presque inaudible, tenue à en perdre haleine, qui forcit et éclot comme une dernière explosion de vie. Marie se défait de ses vêtements terrestres, et c'est en robe rouge de martyre et le crâne presque chauve qu'elle monte à l'échafaud, où l'attend, dans le brouillard, un géant armé d'une hache démesurée.

 ©  Sarah Krulwich

Metropolitan Opera Live in HD, 19 janvier 2013

samedi 27 octobre 2012

L'Elisir d'Amore : qu'importe le flacon...


Les critiques américains s'en donnent à cœur joie : so-so, pas assez sérieux pour une ouverture de saison du Met, mise en scène trop traditionnelle, jeu outré des chanteurs, mauvaise association Netrebko – Polenzani. Les mêmes qui ont crié au scandale lors d'une Sonnambula transposée dans une salle de répétition par Mary Zimmerman en 2009. Certes c'est une mise en scène classique, avec tableaux à la Watteau et faux blés sur roulettes traînés par des figurants pour compléter un champ trop clairsemé.

Dulcamara (© Sara Krulwich)


Mais il y a cet hénaurme Dulcamara (Ambrogio Maestri) flanqué de ses sbires à la Tim Burton, parfait de buffa et de diction dans son air de liste et qui s'empiffre de spaghettis … avé les doigts.






Belcore (© Ken Howard)






Mais il y a ce Belcore Don Giovanni (Marius Kwiecien) – à moins que ce ne soit l'inverse -  -dont la testostérone fait des ravages par le jabot ouvert.











Mais il y a ce Nemorino poète (Matthew Polenzani), tourmenté comme un Werther, dont les yeux bleus à l'imperceptible coquetterie ajoutent un charme désarmant à ce splendide Una furtiva lagrima, sensible, nuancé, sincère, aux exquises dernières notes.

Mais il y a ces petits incidents, rouge à lèvres débordant d'un baiser trop fougueux et transpirant, cheveux collés sur la joue, que le partenaire tente de réparer dans la complicité du jeu.

Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'élixir !

Metropolitan Opera, Live in HD, 13 octobre 2012