Entrer pour la
première fois au Wiener Staatsoper, comme par effraction, par une
petite porte de côté. Hésiter, monter, descendre, demander, se
perdre un peu. Dans quelle direction La Polka ?
Il n'y a pas de
Polka, pas de Wild West. Mais des containers empilés, échoués
là dans l'attente d'un ailleurs. Un provisoire que les gars ont
aménagé. Là-haut on se change, on s'éponge, on s'essuie. En bas
on a fait un bar de fortune autour d'une baraque qui s'ouvre et se
ferme comme une boîte. C'est lugubre, vaguement inquiétant. Alors
on a mis un ou deux juke-box, accroché des guirlandes de baloche à
côté des casques suspendus. Un vieux transistor diffuse la chanson de Jack
Wallace, Che faranno i vecchi miei. Il y a une malle à
l'avant-scène. En jeans et chemise à carreaux, cheveux courts,
Minnie est un corps asexué qui veille sur d'autres corps asexués
[1], épuisés par le travail, minés par la nostalgie, infusés de
frustration et de violence.
Minnie habite un mobil-home avec lit escamotable et petit réchaud à gaz. Au loin, des montagnes de carte postale. La malle est toujours là, à l'avant-scène. Pendant sa drôle de pantomime de la colère, devant le rideau fermé, alors que le décor est bruyamment changé, le shérif Rance n'y jettera même pas un regard.
Un butoir et un
wagon. Fin de voie, la mort. Début de voie, la vie, nouvelle, sans
passé. Grillages et barbelés, toujours les montagnes au loin,
inaccessibles. Toujours la malle. Étrangement
la corde tombe des cintres, alors que depuis le début de l'acte,
Billy Jackrabbit s'employait, dans un coin, à la préparer.
C'est l'orchestre, l'acoustique fantastique de la salle, qui immédiatement provoquent l'émotion, et emportent corps et âme dans la déferlante puccinienne, dans les bourrasques de la machine à vent. La mélodie est dans l'orchestre plutôt que sur la scène [2], tant et si bien qu'aucun des chanteurs ne passe la rampe : chœurs inaudibles, solistes en limite de cri, paroles incompréhensibles. José Cura et Thomas Konieczny se battent à contre-courant et en perdent leur engagement scénique : Dick Johnson est assez peu concerné par son état de bandit (il ne cherche même pas à voler l'or, d'ailleurs où est-il ? dans la malle, peut-être ?), de blessé par balle, d'amoureux ou de futur pendu ; Jack Rance est à peine méchant. Seule Ninna Stemme parvient à se faire entendre, de ses hommes et du public, et sa noble tricherie au poker est haletante.
Ὣσπερ
ἀπο μηχανης
[3], Minnie apparaît juste avant le moment fatal, et Dick et elle
disparaissent quelque
part, dans
une sorte de rédemption qui laisse le public perplexe
[4].
Dans
la mise en scène de Marco Arturo Marelli, le kitsch scénique a été
éliminé [5]. Las,
pour cette improbable rédemption, c'est une montgolfière aux
couleurs arc-en-ciel descendue des cintres qui enlève le couple vers
une nouvelle vie, cependant que tout le plateau s'enfonce, les gars,
la corde, le wagon, effet de décollage sous le regard hilare de la
moitié du parterre.
Et les spectateurs,
ayant certainement eux aussi une montgolfière à prendre,
s'empressent de quitter les lieux. Les artistes reviennent saluer
devant une salle rallumée, aux trois quarts vide. Mais ceux qui
restent, enthousiastes, sont récompensés par de magnifiques regards
de remerciement. L'émotion est là, aussi.
[1] Rotraud A. Perner
– A clean heart. La Fanciulla del West, programme de
salle du Wiener Staatsoper, 2013
[2] Andreas Lang –
Not a Western opera. La Fanciulla del West, programme
de salle du Wiener Staatsoper, 2013
[3] comme de la
machine (Démostène)
[4] GMD Franz
Welser-Möst, interview – Fanciulla is a conductor's piece.
La Fanciulla del West, programme de salle du Wiener
Staatsoper, 2013
[5] Andreas Lang –
And Jeritza fainted. La Fanciulla del West, programme
de salle du Wiener Staatsoper, 2013
Photos © Wiener
Staatsoper / Michael Pöhn
Wiener
Staatsoper, 14 septembre 2014
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