Des
épis de bras ondulent dans le champ de blé. À
cour les trois Moires encapuchonnées filent, Atropos
coupe le fil d'un coup de
ciseaux emphatique.
Les trois anabaptistes incognito ?
Non, quelque symbole
incongru qu'on ne reverra
pas.
Le
Comte d'Oberthal est amené
sur une plate-forme à roulettes, juché sur un cheval de plâtre,
pouvoir inique et
ridicule à moitié statufié. On retrouvera
plus tard ce
cheval en petit morceaux.
La
fête villageoise est placée sous le signe d'un
bœuf éventré aux entrailles sanglantes – préfiguration des
pendus du camp des anabaptistes ? –
cependant que Jean sert des
brocs dans sa taverne
retable.
En
hiver, le lac est gelé, les patineurs patinent, mais
personne ne semble avoir froid. Au
lieu d'étoffes
précieuses, les
jeunes filles trouvent des tutus courts
et bariolés
dans les
coffres, très commodes pour
danser, mais totalement
anachroniques. Un
étrange soleil bleu comme une orange descend des cintres.
Sur
fond de porte-cierges
géants, la Cathédrale de
Münster brille de tout le
faste du sacre –
le tableau visuellement le
plus réussi. Quelques
filles légèrement vêtues
portant palmes annoncent la débauche. Le
peuple, lui, a les yeux cernés par
l'oppression.
Au
dernier acte, une sorte de Cri
de Munch entouré de
rideaux de douche pailletés
tient lieu de caveau. Au
palais, ce sont des morts
vivants,
verdâtres,
décharnés, qui acclament
le prophète,
âmes des trépassés d'une
nuit de Walpurgis où
les filles presque nues versent à boire.
La pyrotechnie bien
circonscrite se déclenche, un pétard fait un
petit feu d'artifice et rien
ne s'écroule.
La
direction d'acteurs de Stefano Vizioli abuse de poses éplorées, de
bras au ciel et d'immobilités archaïques, Berthe et Fidès en étant
les principales victimes. Les trois anabaptistes, dont un seul
(pourquoi ?) porte des lunettes noires, auraient pu être plus
inquiétants. Si l'on apprécie que le ballet soit présenté, il
vient hélas comme un intermède déconnecté – par le style, les
costumes – de l'intrigue : des entrées dansées en tutus (en
plein hiver donc) dont la seule « audace » chorégraphique
consiste à tomber par terre.
Mais,
sous la direction attentive de Claus Peter Flor, ce sont la musique
et la voix qui sont sacrées en cette soirée. John Osborn incarne un
Jean tout en nuances et en retenue scénique, dont les multiples
couleurs vocales du songe font frissonner de plaisir. La Fidès
de Kate Aldrich n'est fort heureusement pas artificiellement
vieillie ; on admire son aisance dans la difficulté du rôle,
les aigus faciles et les graves abyssaux qui restent audibles et
beaux. Desservie par une gestuelle caricaturale, Sofia Fomina
triomphe vocalement en Berthe, même si la puissance peut paraître
démesurée pour l’acoustique du théâtre. Les trois anabaptistes
de Dimitry Ivashchenko (Zacharie), Mikeldi Atxalandabaso (Jonas aux
lunettes noires) et Thomas Dear (Mathisen) sont parfaits, bien
caractérisés. Seul le Comte d'Oberthal de Leonardo Estévez est en
retrait, montrant parfois quelques approximations d'intonation. Les
artistes du chœur chantant solistes sont, comme à l'accoutumée,
excellents. L'ensemble du chœur, adultes et jeunes, admirablement
préparés par Alfonso Caiani contribue aux grands moments de la
représentation.
Et
le moment le plus intense, celui que le spectateur d'opéra vient
chercher, celui qui fait monter les larmes aux yeux, est l'entrée
des enfants de chœur de
la cathédrale de Münster,
voilés,
couronnés
de fleurs, yeux cernés de noir, faces blanchies,
portant bougies ;
leurs
voix d'anges
soulignées d'orgue
s'élèvent, avec
ce son unique, sublime,
qu'est celui de la maîtrise du Capitole.
Photos ©
Patrice Nin
Capitole, 30 juin 2017
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