Kader
Belarbi propose une relecture subversive du conte, dans une reprise
flamboyante du spectacle donné en 2013.
Alice
traverse le miroir, la Belle traverse son armoire, doudous en
avalanche. Le préféré de la Belle, c'est le rouge sang, balancé
par-dessus le mur de passage.
Ce
sont alors des centaures à croupes et queues devant, des grues
étranges, des queues – de pies, de couleuvres, de cobras. Les
symboles dansent sans masques.
Il
y a là la Girafe, maquereau en costume mafieux flanqué de
ses deux autruches, qui tente d'engluer la Belle dans ses longues
pattes (belle performance de Jérémy Leydier en béquilles) ;
le Cygne (élégant Rouslan Savdenov) et le Vautour
(inquiétant Minoru Kaneko), robe fluide et redingote à dos de
charogne, beauté et laideur, Eros et Thanatos que tire la Bête en
fardeaux sur sa longue peau hirsute. Le Toroador (Philippe
Solano, précis dans solo athlétique), rocker au cache-sexe
pailleté, déboule sur une queue exhibée par l'armoire, violente la
Belle. Autant de visages des instincts puissants, de
l'animalité humaine. La Bête, très belle, torture son corps et son
visage dans des contorsions, chocs et grimaces qui sont autant de
plaintes, d'appels. Davit Galstyan donne corps, cris et souffle à
une incarnation sidérante, violente et sensuelle, du désir. Natalia
de Froberville lui répond en jeune fille curieuse, apeurée, puis
déterminée, irrésistiblement attirée, changeant de chaussons et
de langage chorégraphique pour grandir au fil des fantasmes de
Belle.
L'armoire
a son autre face, celle du vrai monde, avec ses conventions bien
habillées et boutonnées jusqu'au cou. Ici les animaux obéissent à
l'homme et doivent anéantir les Bêtes lorsque sonne l'hallali.
Jusqu'à ce que la Belle décide de se dépouiller de ses oripeaux
comme il faut et de se mettre nue, comme la Bête, pour une
magnifique union charnelle dans la nasse rouge. Il n'y a plus ni
humains ni animaux, seulement des corps. Sacre du printemps de la
Belle, éclose au pied de son armoire. Elle n'a plus besoin de
doudous, elle danse avec la défroque de la Bête, qu'elle finira par
balancer par-dessus le mur. Femme et libre.
Capitole,
28 avril 2019
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