C'est
un décor décoratif, « un simple décor qui ne donne pas de
sens, un espace vide » [1], où pas même les saisons ne
passent. Werther ne trempera pas le bout de ses doigts dans cette
fontaine et mourra dehors sous le plein soleil d'un Noël d'été
alors que la musique dit le vent et les bourrasques de neige. C'est
un coup de foudre sans foudre, sans sidération, sans trouble, sans
fièvre, sans regards. Après trois mois, le couple Charlotte
– Albert va à la messe bras dessus bras dessous – tout va très
bien, et Sophie n'est point amoureuse. On donne le coffret d'armes au
valet sans hésiter. Ce sont des chanteurs qui viennent à la face
pour donner leur air. Et, de manière anecdotique, Werther ne porte
pas de gilet jaune, vêtement sans doute devenu trop subversif.
Les
yeux rivés sur le chef, Christian Tréguier, Luca Lombado et Francis
Dudziak parviennent cependant à préserver des bribes de théâtre.
Les enfants de la Maîtrise du Capitole, admirablement préparés par
Alfonso Caiani, sont parfaitement justes musicalement et
scéniquement. Florie Valiquette, dont nous avions apprécié la
pétulance dans Le Postillon de Lonjumeau, paraît ici en
retrait, tandis que l'Albert d'André Heyboer laisse peu affleurer
jalousie et cynisme.
Cette
Charlotte est-elle torturée par son dilemme ? Aucun geste, aucun
regard ne le laisse croire. L'air des lettres est bien plat, et
Karine Deshayes multiplie les variations de volume, donnant des aigus
assourdissants qui balaient toute émotion. Ce Werther est-il dévoré
par sa passion ? L'absence manifeste d'alchimie entre les deux
protagonistes rend bien tiède l'étreinte du salon et bien plate
l'agonie finale. Jean-François Borras a tous les moyens d'un grand
Werther, mais il lui restera à en endosser le gilet.
Jean-François
Verdier à la direction souligne de magnifiques passages solistes
mais laisse parfois déferler la vague du tutti sur le
plateau. Et il cède à la détestable habitude d'arrêter
l'orchestre à la fin des stances d'Ossian, « N'achevez-pas »
perdant tout son sens et son émotion après les applaudissements.
On
était venue pour pleurer, on repart l'œil sec. « Les
larmes qu'on ne pleure pas », est-ce vraiment Werther
?
[1]
Susanna Mälkki - Réflexions sur l’opéra comme forme d’art
atemporelle. 3rd Transnational Opera Studies
Conference tosc@, Paris, juin 2019
Capitole,
23 juin 2019
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