La
bien-aimée a tourné le dos, elle n'est plus que sa maison,
les murs qu'elle a dressés, qui séparent et cloisonnent les vies.
Les portes sont fermées, il n'y a plus que le sol à
embrasser. La nature pour seul témoin, l'amoureux éconduit s'en va
sur le chemin de la destruction, d'abord ressassant les souvenirs,
espérant encore une lettre au treizième poème, puis résolument
n'aspirant plus qu'à la mort.
Aidé
d'une légère amplification, Markus Brutscher marche sur le chemin
avec rage et fragilité, fiancé trompé hurlant sa colère dans le
micro, interrogeant en sprechgesang la neige ou les corbeaux,
vivant et racontant tout à la fois ce voyage, parfois sur le fil de
la justesse, mais avec une articulation parfaite, des piani
émouvants. Le Voyage d'hiver est aussi une longue épreuve
pour son interprète.
Markus Brutscher |
Vingt-quatre
musiciens (le Klangforum Wien, sous la direction attentive d'Emilio
Pomárico) pour les
vingt-quatre lieder du Winterreise de Schubert
réinterprétés par Hans Zender. Les archets frappés sur les cordes
des violons font crisser les pas sur la neige (Gute Nacht).
Les cordes de la guitare égrènent les larmes gelées (Gefror'ne
Tränen). Les machines à vent font valser la girouette (Die
Wetterfahne) et plus tard se déchaînant, fragmentent le chant
en lambeaux haletants (Mut). L'accordéon plaintif souhaite
une ultime Bonne nuit comme dans un tango triste, puis indique
en gémissant (Der Wegweiser) le chemin de l'auberge,
le cimetière où les chambres sont les tombes et où résonne une
marche funèbre, requiem pour le voyageur perdu. Les dissonances
accompagnent les tumultes du cœur (Auf dem Fluße,
Rast) jusqu'à déchaîner une tempête baroque (Der
stürmische Morgen). Déambulant dans le théâtre comme le
voyageur déambule dans sa glaciation intérieure, les musiciens
créent des effets d'espace, écho lointain de la montagne
(Irrlicht), ou cor du postillon de la poste, ce vain espoir
(Die Post). La parhélie (Die Nebensonnen) n'est
qu'une illusion, un faux soleil : le voyageur a rendez-vous avec la
nuit, avec ce musicien étrange, inquiétant, la mort elle-même,
dont on entend la vielle (Der Leiermann) ; et bientôt le
thème lancinant se défait dans une ultime dissonance qui agonise
dans un long effet d'orgue. C'est l'épais silence qui s'ensuit qui
clôt le voyage, un voyage dont l'auditeur-témoin sort bouleversé.
Klangforum Wien © Lukas Beck |
Théâtre
du Capitole, 20 mars 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire