La
vie n'est pas d'une idiotie mathématique telle que seuls les gros
mangent les petits ; il arrive aussi que l'abeille tue le lion, ou le
rende fou tout au moins [2].
Émincer
les oignons, les jeter dans un poêle chaude avec un peu d'huile,
faire revenir, puis ajouter les rognons et faire cuire sans cesser de
remuer.
Ce
n'est pas si long de préparer des rognons de veau, sauf à la scène.
Kristin (Clara Simpson) s'affaire longtemps, très longtemps, devant
ces fourneaux où rien ne manque, même pas la fumée. Et fait de ses
premières répliques un ragoût de mots.
C'est
un duel à mort qui oppose aristocrate et valet, pulsions et calculs,
femme et homme. Un duel aux incessants revirements, au dialogue
erratique [2]. Un duel qui ne s'arrête pas au premier sang,
celui des règles de Julie, de sa défloration, celui de la
décollation de saint Jean-Baptiste comme de celle du serin – il
y a du sang entre nous ! Julie joue avec le feu,
« allume » Jean, matière inflammable, séduction
éperdue de fille noble qui s'ennuie, se déteste, ne sait pas qui
elle est – élevée comme un garçon. Jean, qui n'est pas né
pour [se] courber, oscille entre raffinement et grossièreté,
soumission et manipulation. Kristin incarne une morale de cuisine où
les petits arrangements trouvent pardon à confesse, et ne parle aux
gens qu'à la troisième personne. Et au-dessus plane l'ombre du
comte, père et maître, droit dans des bottes omniprésentes.
© Eric Cucchi |
Marilyne
Fontaine a l'âge et l'effronterie de Julie. Mais on aurait aimé
plus d'audace dans la séduction, des contradictions plus subtiles,
une descente aux enfers plus perceptible. La marche au supplice,
rasoir en main pour l'inévitable jigai [3] n'émeut que très
peu. Et toujours ce défaut qui désormais envahit toutes les scènes
: un débit trop rapide qui rend certaines fins de phrases
inintelligibles.
Thierry
Godard est un Jean d'âge mûr, qui séduit par son incarnation
animale, naturellement dominatrice et manipulatrice, sans excès ni
artifices. Un homme qui laisse venir à lui la future victime. Le ton
est toujours juste, la diction parfaite, même dans les pires
injures. Un Jean qui s'impose corps et mots dans la nuit de la
Saint-Jean.
Robin
Renucci propose une mise en scène littérale, sans grande audace. On
peut juste signaler que les passages en français dans le texte
original [1] sont dits en anglais. Seul un être étrange portant
bois de cerf, croisement de troll et de Chasseur noir, vient mettre
en désordre la cuisine et la vie bien rangées, pendant que Jean et
Julie commettent l'irréparable dans la grange. Mais l'apparition
vient presque comme un cheveu dans le rognon de veau.
[…]
si on pouvait rehausser le parterre pour que le regard des
spectateurs n'arrive pas à hauteur du genou des acteurs ; [...]
[2]. Si on pouvait, au Sorano...
[1]
August Strindberg – Mademoiselle Julie, Une tragédie
naturaliste, traduction de Terje Sinding, Circé Théâtre 2006.
[2]
August Strindberg – Préface à Mademoiselle Julie, in [1].
[3]
C'est le hara-kiri de l'aristocrate, la loi intime de la
conscience du Japonais, qui lui commande de s'ouvrir le ventre quand
l'autre l'offense, et qui se perpétue sous une forme altérée dans
le duel, privilège de la noblesse. In [2].
Théâtre
Sorano, 15 mars 2013
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