Ainsi
que la vertu le crime a ses degrés [1].
Projection
d'un immeuble de trois étages, des appartements tournent, roulette
de murs derrière lesquels rien ne va plus, rien n'ira jamais plus.
Quel jeu de la vie fait qu'on devient criminel ? Qui tire un
mauvais numéro va direct au trou.
Chaque
échange est argent. Survivre, acheter. L'argent au centre, comme la
salle à manger des nantis.
Chaque
échange est mensonge. Cacher ce que l'on fait, ce que l'on est, dans
la promiscuité de ces murs [qui]ont des oreilles.
Le
quatrième mur est la fenêtre par laquelle le spectateur – voyeur
omniscient – épie les bouts de vie, les secrets, les petits
arrangements de l'immeuble parangon d'une société où rien ne
tourne rond. On vole par amour ou pour faire taire, on tue par
désespoir ou jalousie. En revenant des courses, on tue une rivale
comme on tue le lapin destiné au civet.
Rupture
de rythme : la justice passe. Justice qui coince les hommes entre
deux paragraphes. Justice de discours, d'intimidations. Quatre cours en une pour quatre procès, justice à la
chaîne. Ce ne sont plus les murs qui tournent, ce sont les gens.
Chacun son tour sur la roulette de l'arbitraire. Triomphe du calcul
et du cynisme. Justice injuste.
Retour
à l'immeuble. Cela continue. Tout continue. Ceux qui restent
ne sont ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait des autres.
L'avocat magouille avec le gérant. Le fils de bonne famille
brutalise la bonne, organise des orgies et se mue irrémédiablement
en jeune homme blond de Cabaret – même des boucles
blondes peuvent cacher une ordure. Le paragraphe 175 finit
par rattraper l'homosexualité déclarée ou latente. On a recours à
une faiseuse d'anges. La cuisinière meurtrière monte sa mayonnaise,
condiment pour masquer la vérité et le goût de la mort : celle
d'un innocent, et son propre suicide. Le jeune étudiant en philo
s'exténue à rédiger sa thèse, pour faire passer plus vite les
huit années de détention de sa compagne infanticide. Tout, tout
continue.
© Jean-Louis Fernandez |
En
Ernestine la cuisinière, qui annonce d'emblée « Je ne suis pas
un être humain, voyez-vous », Angélique Clairand manie le
mensonge aussi bien que la feuille de boucher, le cynisme autant que
le fouet à mayonnaise. Claude Duparfait le bien nommé est touchant
en Gustav Tunichtgut, le serveur au chômage, gentleman et Don Juan
jovial, qui souligne en rouge des passages de Stendhal, et dont la
naïveté sincère sera broyée par la machine judiciaire. Sava Lolov
fait un Josef inquiétant et détestable, ainsi qu'un président de
cour à la mèche rebelle, ambiguë. On remarque aussi Cécile
Bournay pour la gouaille et l'engagement physique de sa Mimi Zerl, et
sa mine de petit oiseau apeuré devant les hommes dévastateurs
lorsqu'elle est Carla Koch.
Richard
Brunel réussit une mise en scène fascinante. Les entrées et
sorties, impeccablement réglées sur les trois plateaux tournants,
donnent vie à tous les appartements, qu'ils soient au premier plan
ou en fond, les habitants devenant silhouettes dans la pénombre. La
chorégraphie de l'acte des quatre procès, dont le texte est
linéaire, statique et parfois lourd et redondant, permet de
remplacer un accusé par un autre, une cour par une autre,
apparitions sorties du chœur qui surprennent le spectateur. On
pourra juste regretter l'emploi de différentes sortes de micros dans
cet acte, dont on se demande quelle est la justification. Et le fait
que le certes étrange jazz en sourdine de l'acte III soit
remplacé par de la techno et des spots de boîte de nuit.
À
quand un opéra mis en scène par Richard Brunel au Capitole ?
[1]
Racine, Phèdre, acte IV, scène 2
Les
citations sont extraites du texte de la pièce : Ferdinand Bruckner,
Les Criminels – traduit de l'allemand par Laurent Muhleisen.
Éditions Théâtrales, La Comédie de Valence, Centre dramatique
national Drôme-Ardèche, 2011
Théâtre
National de Toulouse (TNT), 14 mars 2013
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