dimanche 17 mars 2013

Les Criminels : Fenêtres sur cours


Ainsi que la vertu le crime a ses degrés [1].

Projection d'un immeuble de trois étages, des appartements tournent, roulette de murs derrière lesquels rien ne va plus, rien n'ira jamais plus. Quel jeu de la vie fait qu'on devient criminel ? Qui tire un mauvais numéro va direct au trou.

Chaque échange est argent. Survivre, acheter. L'argent au centre, comme la salle à manger des nantis.
Chaque échange est mensonge. Cacher ce que l'on fait, ce que l'on est, dans la promiscuité de ces murs [qui]ont des oreilles.
Le quatrième mur est la fenêtre par laquelle le spectateur – voyeur omniscient – épie les bouts de vie, les secrets, les petits arrangements de l'immeuble parangon d'une société où rien ne tourne rond. On vole par amour ou pour faire taire, on tue par désespoir ou jalousie. En revenant des courses, on tue une rivale comme on tue le lapin destiné au civet.

Rupture de rythme : la justice passe. Justice qui coince les hommes entre deux paragraphes. Justice de discours, d'intimidations. Quatre cours en une pour quatre procès, justice à la chaîne. Ce ne sont plus les murs qui tournent, ce sont les gens. Chacun son tour sur la roulette de l'arbitraire. Triomphe du calcul et du cynisme. Justice injuste.

Retour à l'immeuble. Cela continue. Tout continue. Ceux qui restent ne sont ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait des autres. L'avocat magouille avec le gérant. Le fils de bonne famille brutalise la bonne, organise des orgies et se mue irrémédiablement en jeune homme blond de Cabaretmême des boucles blondes peuvent cacher une ordure. Le paragraphe 175 finit par rattraper l'homosexualité déclarée ou latente. On a recours à une faiseuse d'anges. La cuisinière meurtrière monte sa mayonnaise, condiment pour masquer la vérité et le goût de la mort : celle d'un innocent, et son propre suicide. Le jeune étudiant en philo s'exténue à rédiger sa thèse, pour faire passer plus vite les huit années de détention de sa compagne infanticide. Tout, tout continue.

© Jean-Louis Fernandez

En Ernestine la cuisinière, qui annonce d'emblée « Je ne suis pas un être humain, voyez-vous », Angélique Clairand manie le mensonge aussi bien que la feuille de boucher, le cynisme autant que le fouet à mayonnaise. Claude Duparfait le bien nommé est touchant en Gustav Tunichtgut, le serveur au chômage, gentleman et Don Juan jovial, qui souligne en rouge des passages de Stendhal, et dont la naïveté sincère sera broyée par la machine judiciaire. Sava Lolov fait un Josef inquiétant et détestable, ainsi qu'un président de cour à la mèche rebelle, ambiguë. On remarque aussi Cécile Bournay pour la gouaille et l'engagement physique de sa Mimi Zerl, et sa mine de petit oiseau apeuré devant les hommes dévastateurs lorsqu'elle est Carla Koch.

Richard Brunel réussit une mise en scène fascinante. Les entrées et sorties, impeccablement réglées sur les trois plateaux tournants, donnent vie à tous les appartements, qu'ils soient au premier plan ou en fond, les habitants devenant silhouettes dans la pénombre. La chorégraphie de l'acte des quatre procès, dont le texte est linéaire, statique et parfois lourd et redondant, permet de remplacer un accusé par un autre, une cour par une autre, apparitions sorties du chœur qui surprennent le spectateur. On pourra juste regretter l'emploi de différentes sortes de micros dans cet acte, dont on se demande quelle est la justification. Et le fait que le certes étrange jazz en sourdine de l'acte III soit remplacé par de la techno et des spots de boîte de nuit.
À quand un opéra mis en scène par Richard Brunel au Capitole ?

[1] Racine, Phèdre, acte IV, scène 2

Les citations sont extraites du texte de la pièce : Ferdinand Bruckner, Les Criminels – traduit de l'allemand par Laurent Muhleisen. Éditions Théâtrales, La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche, 2011

Théâtre National de Toulouse (TNT), 14 mars 2013

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