Philippe
II règne par la terreur sur ses sujets comme sur ses proches, renvoie
des dames de cour et fait exécuter les idéalistes gênants. Au
fond, les pratiques n'ont guère changé.
Le
plafond en gril de Saint Laurent est bas, lourd d'un Christ
gigantesque, chape de dogmes et de contraintes, rétrécissement de
l'espace vital. Relevé dans les cintres, ce Christ laisse place à
un bosquet d'arbres serrés les uns contre les autres, trop serrés,
qui tient lieu de jardin. Même les arbres craignent l'Inquisition.
© David Herrero |
Don
Carlo est un drame intimiste mais, comme dans Aïda quatre
ans plus tard, le spectaculaire avec foules, martyrs et tyrans, y
fait irruption : la scène de l'autodafé, sous des colonnes qui
trompent l'œil et menacent de tomber, reste sobre cependant, excepté
un tableau des supplices émergeant des dessous. Et comme le tragique
comporte toujours sa part de comique, le magnifique chien de la suite
royale tourne délibérément le dos au public, malgré les
tentatives de Philippe II soi-même pour le faire pivoter. L'animal
fait ce qu'il veut, lui.
Point
d'accessoires ni superflus ni nécessaires, le roi n'a pas de meubles
en son cabinet, et le coffret dérobé est posé par terre. La royale
main et le royal regard désigneront les flambeaux qui achèvent
de se consumer qui certainement sont accrochés là-bas, au
premier balcon.
Cages,
caissons du plafond, ombres portées sont autant de grilles qui
enferment les personnages dans leur terrible solitude, les isolent de
l'amour. Mais le plafond finira par tomber, cédant au surnaturel de
l'apparition saint-sulpicienne de Charles Quint en majesté, dominant
une volée de marches sur lesquelles Carlo s'écroulera, frappé par
la divine lumière. On eût préféré qu'un mystérieux moine
l'entraînât dans le cloître, le couvrant de son
manteau.
Le
tableau d'ouverture est prémonitoire ou bien déjà le résultat de
cette foudre finale : Carlo gît à terre. Déjà mort. Le
chœur des moines en coulisses, magnifique, rend la scène encore
plus étrange.
Maurizio
Benini dirige avec attention le plateau mais impose parfois quelques
excès sonores à l'orchestre. Les comprimari sont
remarquables, voix céleste, moine bourru, sextuor des députés
flamands.
Dimitri Pittas et Tamar Iveri © David Herrero |
Dimitri
Pittas fait de son Carlo un emporté, sans nuances, un mauvais
garnement qui n'en fait qu'à sa tête. Emprunté dans son jeu et
tonitruant dans des aigus désagréables, il a le regard plus exalté
par le deuxième balcon que par la paix des Flandres.
Tamar
Iveri est beaucoup plus à l'aise vocalement et scéniquement qu'en
Donna Anna. Elle porte avec dignité et détachement le costume de
reine et tempère par sa sobriété la fougue désordonnée de son
amoureux perdu.
Magnifique
Eboli de Ekaterina Gubanova, dont le chant est séduisant d'une extrémité
à l'autre de l'ambitus, particulièrement étendu dans la Canzone
del Velo. Bandeau sur l'œil droit comme la véritable princesa
de Eboli, elle joue avec subtilité ce Iago en jupons et se défait
littéralement de sa beauté dans le splendide O don fatale.
Stefano Antonucci © Carsten W. Lauritsen |
On
est toujours admiratif devant l'artiste qui débarque de l'avion,
endosse le costume, et évolue sur scène avec aisance comme s'il avait participé
assidûment aux répétitions. Même si la projection est par moment
un peu faible, Stefano Antonucci fait un très noble
Posa au pied levé, et le moine, fantôme ou réalité,
qui l'abat depuis la coulisse, n'y voit que du feu.
Appuyé
sur deux cannes empruntées à Luc Bondy (1996), le monstre
Inquisiteur de Kristinn Sigmundsson a de très beau graves, mais
devient nasal et faux dans ses aigus et ouvre fort les voyelles, ce
qui prive le très attendu duo des puissants de son effrayante
intensité.
Roberto Scandiuzzi © David Herrero |
Mais
par la stature, l'incarnation, la voix puissante, chaude et profonde,
le roi est royal. L'aura du personnage, se confondant avec l'aura de
l'artiste, est perceptible. Loin de son Don Pasquale un peu effacé,
Roberto Scandiuzzi est autoritarisme intériorisé, mépris sobre,
solitude résignée. Ella giammai m'amo est particulièrement
émouvant, sans pathos, subtil. La solitude de l'homme de pouvoir empêtré
dans ses erreurs. La solitude de l'homme.
Théâtre
du Capitole, 30 juin 2013
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