Bhakti
III (Maurice Béjart 1968)
Étude
pour une dame aux Camélias (Maurice Béjart 2001)
Là
où sont les oiseaux (Gil Roman 2011)
Le
Sacre du printemps (Maurice Béjart 1959)
© R. Garcia |
Dans
la nuit tombante du théâtre Jean-Deschamps , Gil Roman abandonne
cigarette nerveuse et téléphone, monte en régie ; le rouge se
fait. Shiva, troisième personne de la Trinité hindoue (Brahma,
Vishnou, Shiva)
Dieu de la Destruction (qui est surtout la
destruction de l’illusion, de la personnalité). Dieu de la Danse.
Son épouse, Shakti, n’est autre que son énergie vitale qui émane
de lui et retourne en lui, immobile et pourtant éternellement en
mouvement. [1]
Ce sont deux corps qui n'en font qu'un, entrelacs
de bras et jambes, géométrie parfaite, poses sculpturales défiant
les lois de la physique. Ce n'est que lorsque Shakti et Shiva dansent
seuls, l'un privé momentanément de l'autre, que l'équilibre
devient fragile, perturbant quelques pirouettes. Qu'auraient dit les
yeux bleus perçants du Maître ?
Elle
était ma DAME et je l’ai rêvée comme une fleur « Un Camélia »
!
Je vais mourir, mais
elle, je veux pas qu’elle meure.
Rêve,
Ombres, Imagination, femme idéale, je la cherche et je mourrai en la
cherchant, elle qui peut être va mourir aussi bientôt !
© Doron Chmiel |
Ma
Dame… aux camélias. [2]
Marguerite,
Violetta, la dame est une fleur que les hommes effeuillent. Le
temps passe vite, implacablement martelé. Elisabet
Ros, hagarde, va d'un jeune homme en noir à un autre, quémande un
baiser, une caresse, avant qu'il ne soit trop tard. Sous le masque
de la tendresse d'un instant, la mâle violence la rejette, la
dépouille de ses voiles, un à un. Les illusions tombent comme les
vêtements arrachés, elle se retrouve nue. Restée seule, elle
danse, souriant aux étoiles, magnifique, avec Chopin pour unique
partenaire. Elle se réfugie parfois entre les bras de son fauteuil
rouge. La dame au fauteuil. Espérance vaine. La Callas chante
Adriana Lecouvreur, morte d'avoir respiré le parfum de fleurs
empoisonnées. La dame va mourir bientôt, la dame est morte.
Ovation
à hauteur de l'émotion donnée corps, âme et regards par cette
immense danseuse.
Alors
que je préparais cette tournée en Chine, j’eus le plaisir de
recevoir à Lausanne, dans nos studios, M. Chen Shenglai. À
cette occasion, il me remit un texte qu’il avait écrit : « Le
charme de la vie ». En écho à ce poème, des images, des idées
ont surgi : vie – mort – re-naissance – cycle – Ying-Yang –
équilibre. Et tout à coup, une lumière… Marta Pan.
Cette
immense artiste sculpteur, que j’avais eu la joie de rencontrer et
dont les œuvres sont aujourd’hui exposées dans le monde entier,
fut une amie proche de Maurice Béjart. Ils collaborèrent à
diverses reprises, entre autres en 1959, lorsque Marta Pan réalisa «
Équilibre », qui inspira
à Maurice Béjart la création d’un ballet éponyme, dans, autour
et avec la sculpture. De ce ballet, excepté cette sculpture, il ne
reste rien, aucune trace de chorégraphie.
Je
me mis donc à travailler à partir du texte de Chen Shenglai et de
l’œuvre de Marta Pan. […] Un studio, des danseurs et de la
musique
Marta,
Maurice
Naissance…
[3]
Marta Pan - Equilibre, model for a ballet |
C'est
un ballet difficile à appréhender, ballet de vie, ballet de mort,
ballet d'ombres et de lumière, ballet de vaine quête. D'humour et
de tragique. De couleurs. D'esthétique. D'oiseaux qui vivent et
meurent. Le héros, Parsifal ou Faust, va toujours plus haut, pour
finalement rencontrer son double, lui enfant, né de la matrice rouge
qu'est la sculpture de Marta Pan. Mêmes tignasses brunes bouclées,
Oscar Chacon et Cosima Munoz dansent l'incessant renouveau de la vie,
l'expérience grave et l'innocence malicieuse.
Que
ce ballet soit donc, dépouillé de tous les artifices du
pittoresque, l’Hymne à cette union de l’Homme et de la Femme au
plus profond de leur chair, union du ciel et de la terre, danse de
vie ou de mort, éternelle comme le printemps ! [4]
On
l'a vu et revu sur quelque écran. Voir le Sacre de Béjart
sur scène est une expérience envoûtante, haletante, obsédante. La
musique sauvage. La scansion des corps, leur énergie animale.
L'absolue perfection des ensembles. L'amour physique sublimé.
Kateryna Shalkina et Oscar Chacon en répétition © Site du Béjart Ballet Lausanne |
Kateryna
Shalkina (l'élue) et Oscar Chacon
(l'élu) transcendent la danse. Jusqu'à cet extraordinaire bouquet final que l'on a vu cent fois, mais que l'on vit
pour la première fois. Sidération.
En
fidèle héritier du Maître, Gil Roman vient saluer avec sa
compagnie dans de joyeuses remontées de scène, et applaudit
généreusement le public. Qui regrettera juste l'absence cruelle
d'un programme de salle !
[1]
Bhakti, synopsis, site du Béjart Ballet Lausanne
[2]
Maurice Béjart,
décembre 2001
[3]
Gil Roman, 2011
[4]
Maurice Béjart, 1959
Festival
de Carcassonne, 12 juillet 2013
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