Something
is rotten... À
jardin et à cour, des latrines. Pas très reluisantes. Distributeur
de capotes, graffitis (To be, or not to be...) et traces de
doigts. Au centre la salle du pub, avec fléchettes, juke-box
hurlant, trophées et photos dédicacées. Du kitsch glauque.
Le
tenancier du bar royal – ou du palais sordide – est le roi
usurpateur, costard vert, ray-ban colorées et liasses de billets
dans les poches (Hervé Pierre, très à l'aise
dans son rôle de parvenu sans scrupules, même quand il doit, à
l'entracte rideau ouvert, nettoyer les chiottes et manger ses pâtes
de fast-food) ; sa cour est en pattes d'eph et pattes
graissées, moumoutes et faux-semblants ; la reine (Clotilde de
Bayser) en décolleté et transparences fendues. Le
revers du pouvoir est laid, argent plus ou moins propre, corruption,
sexe, alcool, meurtre.
Take
you me for a sponge my lord ? - Ay, sir, that soaks up the King's
countenance, his rewards, his authorities. Le couple des faux-frères
Rosencrantz et Guildenstern, marionnettes sinistres manipulées par
le couple royal [1], ces deux personnages qui parlent à
l'unisson et ne font qu'un traître spongieux, sont astucieusement
réunis en un seul (Elliot Jenicot), ventriloque et chien toujours
prêt à ouvrir la gueule pour saisir les gros billets.
La
folie d'Ophélie (Jennifer Decker, très exposée) est un carnaval de
pacotille, cotillons extirpés d'un sac en plastique, et exhibition
hystérique en culotte rose. Cependant sa mort concentre les
incohérences : suicidée par abus de médocs, on la retrouve avachie
dans les toilettes des dames à cour, noyée ? Drowned, drowned,
dit la reine... Les livreurs fossoyeurs descendent les fûts de bière
à la cave avant de descendre la bière d'Ophélie dans le même
trou. Jeu de mots facile ou illustration du texte – and why of
that loam whereto [Alexander] was converted might they not stop a
beer-barrel? Cependant pourquoi diable y aurait-il des crânes
sous cette trappe du bar ? Vaine vanité...
Par
contraste, les purs, les intègres, les compagnons d'Hamlet, sont
interprétés avec une remarquable et émouvante sobriété.
Magnifique Horatio d'Alain Lenglet en cheveux grisonnants, complet
lie-de-vin et voix de baryton. Spectre et premier comédien
fascinants d'Éric Ruf,
dont la présence magnétique, le regard mélancolique mouillé de
larmes et la diction pure font disparaître le costard jaune fluo
dont on l'a affublé.
Emmitouflé
dans son pardessus nighted colour, transi jusqu'au cœur
par le froid et la nuit [1], puis en gilet et cravate débraillés,
Denis Podalydès a la fragilité et l'assurance du fou, ou de celui
qui joue à être fou – I am but mad north-north-west. La
ruse de la folie feinte [1].
Serrant contre lui ses livres
comme son enfance révolue, il finit par les découper méthodiquement
– Yea, from the table of my memory / I'll wipe away all
trivial fond records / all saws of books, all forms, all pressures
past / That youth and observation copied there […] Son
Hamlet ressemble à celui, à l'opéra, de Simon Keenlyside : même
cinquantaine adolescente, même violence rentrée qui explose face à
la mère, même regard habité.
Dans
le grand-guignol des meurtres en série de la scène finale, Hamlet
fait-il semblant de mourir ? To die, to sleep – / To
sleep, perchance to dream –.
S'allongeant tranquillement auprès des cadavres, il prend son temps.
Au
fond tout cela est-il la représentation de Hamlet
? Ou une simple répétition de la tragédie du monde voué aux mains
de gouvernants opportunistes ? Parfois les comédiens ne sortent pas
de scène, s'assoient devant le décor, s'épongent dans leur
serviette, boivent leur Cristalline, regardent leurs collègues.
N'être pas ou être dans la pièce...
…
N'être pas ou être
irrévérencieux. Telle est la question que ne se pose pas Dan
Jemmett. Il l'est, comme l'est Hamlet lui-même. Pour provoquer le
courtisan.
[1]
François Maguin, Introduction à Hamlet,
GF Flammarion, 1995
Photos
© Cosimo Mirco Magliocca
Comédie-Française, 7 octobre 2013
Dan Jemmett est à mon avis l'un des plus grands metteurs en scène actuels de la langue de Shakespeare en France !
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