Les
enfants s'inventent des histoires, font vivre nounours et poupées,
jouent aux marionnettes avec leurs doudous derrière le drap de leur
lit. Les parents leur lisent des contes terrifiants, s'amusent à
leur faire peur, pour mieux les faire grandir. Les enfants font des
rêves et la réalité devient fantasmagorie.
C'est
un rêve dans un rêve, un rêve dans un conte, un conte dans un
rêve. Avec une grande pertinence, Andreas Baesler joue avec les
mises en abime et gomme les frontières entre ce qui est et ce qui
s'imagine.
Car
il faut s'évader de cette vie : le marché du balai a du plomb dans
le manche, le livre de comptes est dans le rouge, le père boit, la
mère abusive sévit par le gourdin, la gouvernante boiteuse est
laide et revêche, il n'y a rien à manger. Meubles, tapis, bijoux et
tableaux sont saisis, portraits de Richard W. et de Cosima, horloge
des sortilèges. Restent le fauteuil, le Pleyel, le sapin de Noël,
le lit à étage des petits et le grand poêle, des ingrédients pour
d'autres sortilèges.
Les
enfants endormis font un rêve. Le marché du balai a subitement
repris, le père éméché rentre à la maison avec lard, galettes et
maisonnette en gâteau. S'assoit dans le fauteuil et prend le grand
livre de contes, là seulement où existent les sorcières.
Quoique... Le praxinoscope les fait voler de jardin à cour, se
multiplier, folle chevauchée aux accents, parfois, de celle des
Walkyries.
Alors
les boules de Noël deviennent fraises, le sapin se multiplie en
forêt, poupée, nounours et doudous-marionnettes grandissent et
s'animent, le coucou du salon devient coucou des bois. Depuis la
coulisse, l'écho des voix d'enfants répond à la peur, étrange,
aérien, magnifique. Par un très beau mouvement du décor (Harald
Thor), le plafond se soulève, les murs s'écartent, l'espace clos et
pesant du salon s'ouvre sur l'imaginaire ; le Marchand de sable –
marionnette passe, la poupée prépare le lit, le nounours d'un geste
magique fait se fermer les rideaux. Les enfants rêvent dans leur
rêve sous la protection des quatorze anges, revenants blancs
effrayants et bienveillants, superbe pantomime d'ancêtres de toutes
époques en hennin, crinoline, haut-de-chausses, haut-de-forme ou
perruques, qui s'évanouissent en laissant une plume de chapeau –
ou d'ange.
La
sorcière du praxinoscope se réjouit d'avance et fait des loopings
sur son balai. Le Bonhomme Rosée est un cerf-volant gracieux
manipulé par la poupée et le nounours. Mais le rêve se mue en
cauchemar : pied bot, nez crochu, yeux de serpent, ressemblant
étrangement à la gouvernante, la sorcière ogresse surgit dans des
lumières verdâtres. Alors le lit devient cage, le gourdin de la
mère bâton maléfique, le poêle four à enfants. Four à sorcière.
Four qui explose. L'apparition des enfants-gâteaux endormis, qui
émergent peu à peu dans la brume-fumée de la forêt, est
saisissante.
Claus
Peter Flor, dans le même temps extrêmement attentif au plateau,
donne à l'orchestre de magnifiques couleurs. Jean-Philippe
Lafont et Diana Montague font un couple de bourgeois très crédibles
dans leur déconfiture, même si le vibrato de l'un et les aigus
métalliques de l'autre révèlent l'usure du temps. Khatouna Gadelia
enchante en Marchand de sable et en Bonhomme rosée, celui-ci incarné
avec mérite en suspension dans les airs. Ses deux acolytes, petite
poupée et petit nounours, sont confondants de naturel dans chacun de
leurs gestes. Jeannette Fischer brûle les planches avec son balai,
qu'elle chevauche avec délectation. Distillant l'effroi et l'humour
– même le fauteuil recule vers la coulisse, la chanteuse ne cède
rien à l'actrice, précise dans les aigus, juste dans le nez (de
sorcière), et se jouant de l'amplification des formules magiques.
Scéniquement parfaites, naturelles dans leur alchimie, Silvia de La
Muela et Vannina Santoni forment un couple frère-sœur idéal, dont
la complémentarité vocale émeut profondément dans leur magnifique
Laissez-nous prier à genoux. Vannina Santoni, qu'elle
retrouve sa voix d'enfant pour le lied Au bois un petit homme,
ou qu'elle montre ses talents de colorature
pour les Tirelireli, est remarquable. La toute jeune Maîtrise,
préparée avec grande précision par Alfonso Caiani, ravit par ses
interventions, admirable écho de coulisse, voix très douce des
enfants-gâteaux, enthousiasme de la liberté retrouvée.
Le
décor s'est refermé sur la réalité, le père brandit le livre de
contes, les enfants poussent un cri et s'enfuient. Des sortilèges,
des enfants, des rêves, un enchantement.
Théâtre
du Capitole, représentations des 24, 27 et 29 décembre 2013
Photos
© Patrice Nin
Certes, la mise en scène est habile, sophistiquée, mais cette sophistication, cette "mise en abyme" ne nuit-elle pas
RépondreSupprimerà la magie première du conte, largement réinterprété ?
Ou alors il ne s'agit plus vraiment d'un spectacle pour enfants, mais d'un conte pour adultes, et encore à condition,
pour l'apprécier pleinement, de bénéficier d'une "explication de texte - ou plutôt de mise en scène" préalable ?
je n'ai pas vu cette sophistication, mais au contraire une esthétique sublime et très claire, un parti pris trop consensuel à mon goût : la sorcière n'a rien d'effrayant !
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