John
Maestri et Ambrogio Falstaff ne font qu'un, hénaurme, ripailleur,
cavaleur. Les commères joyeuses, généreuses, plantureuses, ne sont
pas en reste. On boit, on
mange, on drague. Robert Carsen met la table et les amoureux se
cachent sous les nappes.
Le
petit lever de Sir John est un cérémonial de corset vert ceint sur
des dessous douteux par des domestiques avinés, au milieu de
bouteilles vides et de nappes tachées. Les dames mangent d'énormes
gâteaux dans un restaurant chic où des serveurs stylés jouent à
cache-cache avec les jeunes filles. Mais lorsqu'elle sont chez elles,
ces dames préparent des dindes dans leur immense cuisine Formica
jaune dernier cri, dont les placards recèlent quantité de boîtes,
paquets de lessive Omo et chandelles d'époque bien rangés. Tout
finira par terre, dans le chaos de la chasse au séducteur d'entre
deux et trois, qui s'achève au ralenti dans un extraordinaire
mouvement de bateau à aubes des assaillants vers la table nappée.
Il y a des massacres de cerf partout, et quelques branches de
lunettes, autant de cornes de cocu.
La
précipitation de la corbeille à linge dans la Tamise fait basculer
de l'hyper réalisme dans l'onirisme, des petits détails dans
l'extrême sobriété. Falstaff échoue sur un tas de foin dans
l'écurie sombre, en tête à tête avec un cheval indifférent qui
ne pense – lui aussi – qu'à manger. Les joyeux comploteurs, tels
vampires et fantômes, entrent par les stalles. Pas de chêne du
Chasseur noir, mais des ombres gigantesques, fantastiques,
inquiétantes, et une forêt de bois de cerf, mouvante sur le ciel
étoilé, chacun portant ses rami enormi.
On
est heureux et ému de revoir James Levine au pupitre, qui dirige de
main de maestro depuis son fauteuil. Le trio des commères
(Stephanie Blythe – hilarante, Angela Meade,
Jennifer Johnson Cano), dont une Meg ressemblant à Jeanne
Moreau dans Ascenseur pour l'échafaud, est parfait ; les
amoureux (Lisette Oropesa et Paolo Fanale)
jeunes, frais et espiègles ; parmi les deux domestiques, le Pistola
de Christian Van Horn impressionne par sa
voix sombre et profonde, sa présence magnétique.
Si le Ford de
Franco Vassallo, qui passe aisément du strict
costume trois pièces à une sorte d'Elton John arborant
chemise en satin et bagouses, est quelque peu écrasé par
l'envergure de son imposant partenaire, son E sogno ? o realtá
est remarquable.
Ambrogio Maestri savoure son Falstaff comme il hume
son risotto ai funghi,
et projette son baryton généreux aussi facilement qu'il avale
sandwichs et cuisse de dinde. Mimant L'Onore
!, dansant Va,
vecchio John façon
music hall, il est tour à tour hilarant, émouvant, léger,
lourdaud. Menant la fugue finale sur la table comme le couturier
conduit son défilé, c'est par un Viva Verdi !
tonitruant qu'il la conclut, couvrant même les ovations.
Photos
© Ken Howard
Metropolitan
Opera HD, 5 janvier 2014
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