Laurent
Pelly ne montre pas les forêts : pas plus d'arbres ici que dans sa forêt de Birnam. Cependant, on la voit, on l'entend. La nuit
étoilée bruit de toutes parts, les elfes-lucioles volettent,
les profondeurs se confondent avec le fond du théâtre que l'œil ne
discerne pas.
Alors
que Macbeth était prisonnier de ses murs labyrinthiques, les couples
du Songe ont la liberté de l'immensité. Tout devient
possible. Obéron et Titania s'invectivent dans les airs,
marionnettes de bunraku tenues à bout de bras par des
machines monstrueuses dont les roues grondent sur le sol comme un
orage lointain. Puck descend des étoiles ou s'enfonce sous terre.
Les joutes verbales se transforment en joutes de lits, montures et
boucliers de chevaliers en pyjamas froissés (dont un – réalité
triviale – a tendance à se découdre au mauvais endroit). La fée
dénude l'homme à tête d'âne, ou l'âne à corps d'homme, pour s'y
accoupler dans la lune.
Quel
est le rêve, quelle est la réalité ? De quel côté du miroir sont
ces comédiens amateurs en tenue de travail, bleus, survêtements,
baskets ? Le mur restera le chaudronnier et le lion le menuisier, on
fera semblant d'aimer et semblant de mourir, mais pour qui font-ils
semblant ? Vertige exacerbé par ce miroir venu du fond de scène, où
le reflet de Puck s'adresse à nous, désormais spectateurs de
nous-mêmes.
Souffleur
moderne ou amplification ? Tous portent une oreillette, plus ou moins
discrète. Les jeunes gens du Conservatoire assurent brillamment
leurs fées et elfes, malgré des sous-vêtements qui les font
presque nus. Des jeunes couples en pyjama se détache la Héléna
juste de ton de Jeanne Piponnier, les trois autres étant encore
scolaires ou trop empruntés. Emmanuel Daumas est un brin désinvolte
en Thésée et la tirade Le fou, l'amoureux et le poète
manque cruellement de relief. Marie-Sophie Ferdane (Titania) a
toujours cette touche de fausseté mêlée de vulgarité qui
habillait déjà sa Lady Macbeth. La troupe des comédiens est
impeccable dans sa médiocrité, et Eddy Letexier est autant à son
aise dans le bleu de travail de Nick Bottom (le bien nommé) que dans
sa tête d'âne et sa nudité ithyphallique. Laurent Meininger porte
avec une grande classe le costume noir d'Obéron, élégamment
pervers et cynique. Et c'est un Puck extraordinaire, étonnant de
mobilité, qui mène son monde, prend des poses incroyables, singe les
gestes des amoureux : petite actrice en caleçon, chemise froissée
et nœud papillon dénoué, Charlotte Dumartheray porte à elle seule
tout le Songe. Batt[ons] des mains pour cette jeune étoile.
Photos
© Polo Garat-Odessa
TNT
Toulouse, 8 avril 2014
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