Une
sirène stridente de police, qui se décompose.
C'est
un opéra des fêlures, des forces fragiles, des engagements qui
flanchent, des certitudes qui doutent. Une chronique des morts
annoncées.
C'est
une pure et dure Charlie. Elle n'a jamais confondu l'amour et la
Révolution. Elle s'en persuade, le dit, le redit. Sauf que. Ce
jour-là, elle n'est pas montée dans la voiture.
Il
y a les utopies et la vraie vie ; Rimbaud à la tête du lit, le
Bateau ivre des illusions, et les voitures qui ne démarrent
pas ; le caméscope pour clamer une nouvelle constitution et l'œil
des caméras de surveillance ; les engagements militants et l'amour
qui vagabonde où il veut. Il ne faut pas insister quand une autre
prend un cœur, il faut laisser sa place, renoncer, jeter son corps
dans une autre bataille.
C'est
un opéra des pères. Deux pères si différents mais intimement liés
dans la catastrophe. Bernard Baer - Bernard Tapie, le type qui en
impose dans son costume trois pièces, ses intérêts dans
l'industrie, le foot, les chaussures, la télé, la politique ; qui a
sa cour et dont les journalistes font leur curée. Pietro, le préposé
aux pigeons d'argile, le vieux socialiste local, qui noie dans
l'alcool sa solitude et ses conflits internes et veut devenir
quelqu'un aux yeux de son fils ; il le deviendra dans le sacrifice –
ultime pigeon d'argile – comme un Posa désenchanté.
Déclamant
sur des phrases réitérées qui montent systématiquement dans
l'aigu, chacun aspire à s'élever, à avoir une autre vie. Les
ponctuations de l'orchestre suggèrent une autre réalité, plus
sombre. Philippe Hurel prend grand soin des chanteurs qui ne sont
jamais couverts et proposent ainsi le texte de Tanguy Viel avec une
diction parfaitement compréhensible.
C'est
un opéra cinématographique, avec ses fondus d'un plan à un autre,
ses zooms, ses ralentis, ses situations simultanées, ses arrêts sur
image, ses sur-impressions. La direction d'acteurs de Mariame Clément
est extrêmement précise, dans chaque déplacement, chaque geste,
chaque expression de visage.
Tigresse
meurtrie, amoureuse éconduite, la Charlie de Gaëlle Arquez est
magnifique dans l'action, émouvante dans ses commentaires en voix
off – J'avais les cheveux si courts met en valeur
une belle étendue vocale. Vannina Santoni offre des aigus aériens
et surmonte brillamment le défi de chanter quelques mesures de
Pamina sur du Hurel, même si on devine qu'elle doit être aidée par
son diapason et ses écouteurs. Avec son baryton sensible, Aimery
Lefèvre donne à Toni toute la fragilité du faux dur, qui est
d'abord amoureux avant d'être révolutionnaire. Les pères sont
touchants dans ce qu'ils croient être : Vincent Le Texier a la voix
forte et imposante de celui qui ne doute pas ; Gilles Ragon est tout
en fragilité, cassant son timbre dans ses tiraillements intimes.
Sylvie Brunet-Grupposo endosse vaillamment le tailleur pantalon et
les rythmes difficiles de la chef de la police, nulle en
sentiments mais qui croit en la psychologie. Les artistes
du chœur, successivement invités au ball-trap, journalistes qui
mitraillent à bout portant, puis chœur antique en coulisses qui
joue les auspices, excellent dans leur difficile partition. Une
mention spéciale à Dongjin Ahn, l'employé de banque apeuré qui
doit lire sous la menace les articles de la nouvelle constitution.
Tout semble facile et naturel sous la baguette et le regard attentif
de Tito Ceccherini. La cohésion et le travail de l'équipe face au
grand défi de la création sont une évidence palpable.
Le
blouson rouge de Toni sur les épaules de Patricia. Le père Baer
reconnaîtrait cette veste de partisan à des kilomètres. On
tremble – une fin à la Rigoletto ? Le père tuerait sa
propre fille ? Non ce n'est pas possible. Une fin à la Rigoletto.
Charlie en Gilda jetant son corps pour sauver celui qui l'a trompée,
et qu'elle aime. Les opéras, encore aujourd'hui, finissent mal.
Photos
© Patrice Nin
Théâtre
du Capitole, 15 avril 2014, première mondiale
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