Tragique et
grotesque, émotion et dérision. Une estrade échiquier avec reine,
roi, fous, et pions déplacés, sacrifiés. Quatre morceaux de tôle,
des bidons, des cuvettes. Bouts de ficelle et bouts de scotch, têtes
de mort clownesques, machettes en toc. Sans artifices complexes, sans
vedettes, mais avec une intensité fulgurante, Brett Bailey fait de
l'opéra un objet politique qui dénonce, questionne, sidère. Comme
le concevait Verdi. C'est la couronne coup de poing du tyran que l'on
prend en pleine figure avec ce Macbeth
au Congo.
Pas
de sorcières préparant quelque infusion de langues de vipères –
mais un chœur antique émouvant, pas de fantôme sanguinolent
surgissant parmi les convives – mais un cadavre qui reste cadavre,
pas de folie somnambulique ni de lavage frénétique – mais une
introspection. Massacres, complicités occidentales, omniprésence du
fric et des armes, sont puissamment évoqués par l'humour grinçant
des pantomimes et des projections. Les sur-titres s'éloignent de la
lettre pour donner l'esprit et le goût du jour : familiers et
malpolis. Habilement intriqués, Shakespeare et réalité font un
propos implacable, Verdi et rythmes africains une partition
saisissante.
En
jeans et baskets et sous l'impulsion de son chef Premil Petrovic et
de son frétillant premier violon Mladen Drenic, l'orchestre serbe No
Borders Orchestra sait dire l'urgence verdienne malgré son effectif
réduit. Des dix chanteurs sud-africains, impassibles, bien rangés,
statues qui fixent, défient le public dès qu'il entre dans la
salle, trois s'emparent des rôles principaux avec la fougue et
l'impertinence de la jeunesse. Sec, vaguement inquiétant, Madoda
Ebenezer Sawuli fait un Banco solide. Owen Metsileng (Macbeth) et
Nobulumko Mngxekeza (Lady Macbeth) sont d'abord des corps sans
complexes, généreux, puissants, qui montrent et se montrent, se
vautrent devant la télé en pyjamas panthère. Les voix sont
brillantes, impeccables de justesse (tel ne fut pas le cas de certain
Macbeth aguerri entendu récemment au MET), de diction italienne,
d'émotion. On pardonnera certains aigus râpeux d'une Lady Macbeth
qui fait sa lessive en gants latex – préfiguration d'autres
nettoyages, donne un superbe brindisi en dansant lascivement
et s'abandonne à une folie figée à côté d'une cuvette désormais
vide. Plus rien ne peut laver les crimes.
Point
de réjouissances, un tyran est assassiné, un autre prendra sa
place. Les dix chanteurs de nouveau rassemblés et statufiés portent
l'émotion à son comble avec un Patria oppressa déplacé en
épilogue – un hymne à tous les peuples opprimés.
Photos © House on
Fire
Théâtre
Garonne, 5 novembre 2014
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