À
Pâques dans la Sicile de David McVicar, il fait nuit toute la
journée. La place du village tourne, manège de chaises qu'hommes et
femmes, tout de noir vêtus, déplacent, rangent et arrangent. Une
grande table sort du sol et y retourne. Où est-on ? Dehors, dedans,
à l'église, chez la Mamma ? Santuzza est omniprésente, au pilori
au centre des chaises, exclue en dehors des chaises, à part,
scomunicata.
Trois
danseurs incongrus dansent mal lorsque paraissent Alfio et son fouet
et reviennent de temps en temps comme un cheveu sur le vino
generoso. Il y a des paniers de tomates et les femmes tricotent
en rang d'oignons.
La procession et ses statues doivent suivre la
rotation de la place dans un mouvement de foule étrange qui marche
sans marcher. Et lorsque vient l'heure de s'en retourner chez soi, A
casa, a casa, chacun est assis sur sa chaise, femmes bien droites
d'un côté, hommes avachis de l'autre, et ne bouge pas. Il y a du
Beckett dans ce village (sans arbre).
Marcelo
Álvarez boit beaucoup,
ouvre les bras, passe son verre fébrilement d'une main à l'autre,
grimace et roule des yeux – Turiddu a du mal à se défaire de ses
tics de ténor. Eva-Maria Westbroek semble mal à l'aise dans sa
Santuzza et si le médium est chaud, les aigus deviennent vite
désagréables. Cependant le duo de la dispute est dramatiquement
fort, même si bizarrement, à son acmé, le couple s'enlace
tendrement – Beckett sans doute. Alfio monolithique de George
Gagnidze, Lola de Ginger Costa-Jackson au plumage aguicheur plus beau
que le ramage et Mamma Lucia bien chantante de Jane Bunnell, qui
reste hélas très distanciée, comme sans émotion.
Le
vide laisse place à une pléthore d'accessoires, le noir à la
couleur, le statique au mouvement, l'abscons à une véritable
vision. Comment cependant croire qu'il s'agit de la même place du
même village ? Elle ne tourne plus.
David
McVicar prend le parti du buffa : le théâtre dans le théâtre
est farce avec vrais pagliacci, tartes à la crème, poulet
marionnette et amant dans le frigo. L'issue sera d'autant plus
sidérante.
C'est
un Prologue kitsch avec paillettes, veste rose, cheveux gominés,
micro et pitreries de clowns Dalton. Plus anecdotique et léger que
véritable réflexion sur l'artiste.
Les
saltimbanques arrivent en Chevrolet cabossée et à dos de (vraie)
mule, celle-ci trottant certainement aussi vite que celle-là. Nedda
enlève comme toujours ses chaussures, n'aguiche pas Tonio, mais fait
sa lessive – de lingerie tout de même, pendant que Canio est parti
à la taverne, visible et vivante en fond de scène.
Patricia
Racette porte aussi bien la robe presque sage de Nedda que l'habit de
clown et le tutu de Colombina. Sans altérer son chant, elle danse et
joue vraiment la farce comme ses trois comparses clowns et on y
croit, comme le faux public sur scène. Pourquoi s'est-elle entichée
de ce Silvio très pâle et très mal fagoté (Lucas Meachem) ?
Mystère. Le Tonio de George Gagnidze serait presque plus séduisant.
Beppe (Andrew Stenson) est curieusement mis en retrait, sauf
lorsqu'il protège la recette de la soirée des enfants turbulents et
voleurs. Sa romance d'Arlequin est finement chantée dans un
environnement de pur buffa pourtant peu propice à la rêverie.
Marcelo
Álvarez continue à boire
en Canio ce qu'il n'avait pas éclusé en Turiddu et, l'ivresse
aidant, oublie ses gestes stéréotypés. Recitar ! commencé
à la table de maquillage – Tu se' Pagliaccio dit Canio à
son double du miroir – et terminé devant le rideau, comme si la
comédie était déjà finie, est particulièrement émouvant, belle
ligne de chant sans trémolos ni sanglots.
Canio
ou Pagliaccio, théâtre ou vie, lard ou cochon, le spectateur de
scène comme le spectateur de salle doutent jusqu'au bout. Ils
croiraient presque que le double meurtre est doublement faux.
Photos
© Cory Weaver / Metropolitan Opera
Metropolitan
Opera Live in HD, 25 avril 2015
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