Le
squelette de décor laisse voir les entrailles du théâtre, fond de
scène, rampes de projecteurs, praticables et escaliers. Une échelle
rouge à jardin que personne ne gravira, une colonne de chaises où
personne ne s'assoira, mais des fenêtres sous lesquelles on chante
la sérénade, des portes pour enfermer, des trous de serrure pour
espionner. Martin Ducan esquisse les éléments du vaudeville dans le
théâtre nu.
À
Séville, les Rosina, Louisa, Clara, ne sont pas filles à barbons, à
barbus, ni à barbets. Le magnat du poisson Mendoza, qui exploite ses
poissonnières patibulaires gantées de Mapa verts, en fera les
frais. Car c'est au couvent que l'on se cache des pères abusifs,
parmi des nonnes à cornettes, lunettes et mains vertes, qui arrosent
religieusement leurs belles plantes. Car il n'y a rien de plus
vrai que le Moine bourré, qui fait des Cènes hilarantes avec
ses disciples avinés et lubriques et bénit les couples contre
espèces sonnantes.
On
retrouve avec grand plaisir le Mendoza à fausse barbe de Mikhail
Kolelishvili, son cabotinage bien dosé, sa souplesse de corps et de
voix. Son complice en affaires poissonneuses est le Don Jérôme très
vieille Angleterre de John Graham-Hall, qui chante le bouffe comme un
poisson dans l'eau et s'accommode sans hésiter de l'âme facétieuse
des accessoires : une poignée de porte flanche, un bouchon de
champagne part tout seul. Si les deux amoureux de Garry Magee (Don
Ferdinand) et Daniil Shtoda (Don Antonio) sont un peu effacés
scéniquement et vocalement, le Don Carlos de Vladimir Kapshuk, jeune
malgré ses cheveux vieux, joue de son beau baryton pour suggérer
qu'il serait amoureux de la belle Louisa, qu'il doit chaperonner. Le
duo du trou de serrure avec Mendoza en devient ainsi particulièrement
ambigu. Mais ce sont les filles qui mènent tous ces hommes en
bateau, et de façon magistrale. Le beau mezzo d'Anna Kiknadze
(Clara) sous la cornette répond à la séduction lumineuse
d'Anastasia Kaligina (Louisa), tandis que la duègne d'Elena Sommer,
nez de cochon, jambe de bois et faux airs de la sorcière Grignote,
déploie un comique irrésistible sans se départir de graves
subtils. Parmi les seconds rôles, la stature et la projection
impressionnantes du Père Augustin d’Alexander Teliga font trembler
les murs du monastère.
Les
mains de Tugan Sokhiev façonnent une subtile palette de couleurs,
tout en préservant un bel équilibre entre fosse et voix. Les
passages purement orchestraux, accompagnés des chorégraphies de Ben
Wright tantôt banales (le ballet des masques), tantôt pleines de
finesse et d'humour (le solo du poisson en smoking, la pantomime des
nonnes jardinières), sont un ravissement pour l'oreille. Les dames
du Chœur se distinguent en poissonnières fort peu distinguées,
tandis que les basses en bure dédient leurs graves profonds à la
dive bouteille.
Mendoza,
le puissant berné, est le seul à être exclu des réjouissances
finales, la duègne étant finalement unie à Don Carlos, avec Don
Pasquale, Don Juan et Don Quichotte comme témoins. Du beau monde.
Même le poisson en smoking est invité. Un clin d'œil à la saison
2015-2016, dont la brochure est placée... sous le signe du poisson.
Photos
© Patrice Nin
Théâtre
du Capitole, 17 mai 2015
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