Sur
la scène du Palais Garnier se dessine le Palais Garnier, surgissant
du geste virtuose de cinq dessinateurs – effaceurs. Des
tableaux noirs, de la craie, des balais éponges : le décor, arbres,
flots, navire, ville, se crée et se défait, palimpseste sans cesse
réécrit. Que restera-t-il du spectacle ? Un rideau esquissé et
aussitôt effacé. Rien.
Olivier
Py et son complice Pierre-André Weitz proposent une vanité en noir
et blanc, ancrée sobrement sur leurs traditionnels leitmotive
: les escaliers en mouvement, la table de maquillage, les néons, le
petit lit blanc, les aphorismes. En robe noire, la mort, spectre
androgyne sans visage, les bras prêts à embrasser, virevolte,
s'interpose, nargue, offre le poison et le couteau. En contrepoint du
noir épouvantable [1], les enfants royaux – incarnés par
deux jeunes gens en tee-shirts blancs – se font des chapeaux avec
les journaux qui annoncent les mauvaises nouvelles, jouent au ballon,
courent, se cachent.
Désespoir
politique. Le chœur en deuil se lamente de la mort annoncée de
son roi, qui gît sur un lit d'hôpital. L'oracle médecin en blouse
blanche et stéthoscope tente un massage cardiaque pour remédier à
un électrocardiogramme follement tracé. Mais c'est l'Apollon de
craie de Garnier qui lui dicte l'ordonnance. Ἀνάγκη, le
nécessaire sacrifice d'autrui. C'est Alceste qui donnera son cœur
pour sauver son époux.
Seule
la musique sauve. Sur fond de bacchanale où les corps se
rapprochent, de danse sensuelle à fleur de peau, Admète et Alceste,
le désormais vivant et la presque morte, se parlent sans se
comprendre, se cherchent sans se trouver, montant et descendant ces
escaliers noirs où la mort partout s'interpose.
Et
ce sera la spectaculaire catabase dans la fosse vidée de ses
musiciens et devenue Enfers, ces horribles lieux, enfumés,
hantés de spectres effrayants à têtes de mort. À
cour, Pierre-André Weitz dessine un squelette hideux et hilare, les
bras ouverts, sur son destrier.
Véronique
Gens se donne corps, âme et voix dans une bouleversante incarnation
d'Alceste, figure tragique, forte et déterminée. L'interpellation
des Divinités du Styx est un sommet d'autorité et de
grandeur. Stanislas de Barbeyrac oppose sa blondeur juvénile et son
chant lumineux à la mort qui rôde. Passant de la soutane austère
et du missel au frac et au haut-de-forme, du visage fermé au sourire
aguicheur, Stéphane Degout est un Grand Prêtre impressionnant puis
un Hercule facétieux. Superbe quatuor des coryphées, avec mention
spéciale à Chiara Skerath. François Lis est légèrement en
retrait en oracle médecin. La diction de tous est exemplaire, ce qui
dispense de coups d'œil fastidieux au surtitrage. Marc Minkowski
dirige d'en bas, d'en haut, devant, derrière et sur le côté,
accompagnant avec attention musiciens, chœur et solistes.
Franck
Ferrari devait être cet Hercule prestidigitateur dont le
haut-de-forme recèle paillettes et tourterelle, et qui a de petits
arrangements avec les Enfers. Lui qui devait écrire cet ultime
intertitre sur tableau noir : La mort n'existe pas.
Palimpseste de l'artiste lui-même qui résonne étrangement dans la
proposition d'Olivier Py : un comédien quitte la scène, un autre
reprend le rôle – Le temps te consolera ; un mort n'est rien
[2]. Si, la mort existe, Hercule ex machina n'est qu'un
illusionniste : ce n'est que le fantôme d'Alceste qui reparaît,
voilé de noir. Admète renoncera à lever ce voile.
[1]
Martine Kaufmann – Les larmes d'Alceste. In Alceste,
programme de salle de l'Opéra de Paris, 2015.
[2]
Euripide – Alceste. In Alceste, programme de salle de
l'Opéra de Paris, 2015.
Photos
© Julien Benhamou / Opéra National de Paris
Palais
Garnier, 7 juillet 2015
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