Nous
sommes un jour avant de quitter la planète Terre.
Qui
est le Faust de notre temps ?
Pourquoi
Stephen Hawking serait-il le Faust du XXIe siècle ? Quel
pacte aurait-il conclu ? Y aurait-il donc un diable transhumaniste
derrière les deux lettres ouvertes mettant en garde contre
l'Intelligence Artificielle non contrôlée et les armes autonomes,
qu'il signa librement [1] ? D'ailleurs le Méphisto en blouse
blanche, suivi de sa cour d'étudiants, semble bien être un
scientifique fou – science sans conscience... Nous autres
scientifiques avons repris le pouvoir dans la quête du savoir.
Donc
Faust est Stephen Hawking et réciproquement, l'un cloué dans son
fauteuil roulant (le danseur Dominique Mercy, fascinant), l'autre
chantant son mal-être romantique. Et Alvis Hermanis de se prendre
dramatiquement les pieds dans la légende.
Les
chorégraphies, systématiquement plaquées sur les parties
orchestrales, sont laides, ennuyeuses, redondantes (les rats en cage
sur fond de vidéo de rats pendant la chanson du rat...), souvent
brouillonnes, et tiennent plus de la réclame pour sous-vêtements
bas de gamme. Seule l'allusion aux Wilis (jeunes esprits),
tutus longs et petites ailes revêtus par dessus culottes et
soutiens-gorge, a quelque sens. Mais le rover Curiosity s'affaire
lentement sur Mars et son alter ego de pacotille traverse la scène –
était-ce bien nécessaire ?
Les
vidéos – baleines (Autrefois un roi de Thulé), fourmis
(les fils du Danube ?), volcans, coquelicots, galaxies (la
nuit sans étoiles ?), fécondation (ballet des follets),
quasiment toutes empruntées ailleurs, au mieux n'apportent rien. Et
pourquoi le visage des protagonistes pendant le duo d'amour ? À
moi Vortex, Giaour ! Et la fusée décolle (avec force vortex).
Quand je vais au théâtre, je ne suis pas devant une télé...
[2]
Passent
Adam et Ève statufiés au
jardin d'Éden, sous verre,
le ridicule s'habillant de sous-vêtements chair. Landerira !
Avec
son masque médical, Méphisto anesthésie Faust. Voici des
roses... Émergeant de
couples vautrés par terre, Marguerite apparaît en hideuse robe
verte à carreaux. Céleste image ?
Notre
avenir ne peut se limiter à la Terre. Préparation à Mars One
(quoi, sans signer de pacte ?), Faust refuse d'aller dans la
centrifugeuse, c'est Hawking qui s'y colle. Le diable se marre.
Jonas
Kaufmann, qui déambule avec ennui, attendant vainement une réaction
de Hawking-Faust, est vocalement impérial. Manifestement gêné par
les lunettes de son double, il se libère totalement lorsqu'il les
ôte. Et c'est alors une Invocation à la nature sublime,
charnelle, éruptive (mais les volcans en éruption sont de trop).
Sophie
Koch, la silhouette enlaidie, alourdie par les robes vertes sorties
directement de la friperie du coin, porte une alliance. La sienne,
qu'elle aurait oubliée ? Celle de Marguerite (serait-elle mariée,
mais à qui ?) Mal à l'aise dans ses aigus, mal à l'aise dans sa
« chambre » - cage avec danseurs à demi nus à l'étage,
elle retrouve son personnage lorsqu'elle confie son D'Amour
l'ardente flamme à Stephen Hawking, totalement indifférent dans
son fauteuil – sur fond de brins d'herbe en rosée, les escargots
ridiculement érotiques ayant été remisés au vivarium.
Le
diable, lui, s'amuse. Œil gourmand, mimiques entendues, sourires
vainqueurs, Bryn Terfel endosse blouse blanche et costume de
chercheur fou avec jubilation. Cependant, çà et là, la voix accuse
un vibrato gênant et des aigus en limite de justesse.
Les
chœurs des villageois, les chœurs de Pâques, eux aussi mal
fagotés, sont inintelligibles. Les différents groupes d'étudiants
en blouse blanche sont totalement décalés – fort heureusement,
Edwin Crossley Mercer fait un formidable Brander scéniquement et
vocalement. On retrouve l'ensemble, étrangement, lorsque chacun
revêt l'uniforme, avec un sabir des enfers parfaitement
compréhensible, l'apothéose de Marguerite souffrant de nouveau, en
revanche, de nettes bavures (Ssssseigneur).
Donc
chacun de signer son contrat pour un voyage sans retour vers Mars, de
troquer ses vêtements (laids) de Terre pour la combinaison spatiale
(étiquetée de son vrai nom terrestre).
La
signature du pacte est donc l'engagement dans la mission Mars One.
L'enfer, c'est Mars. Pourquoi pas ? Mais alors, que diable va faire
Marguerite dans cette fusée ? Quel enfer Faust voit-il dans son
casque de réalité virtuelle ? Que signifie cette apothéose usurpée
par Hawking qui, libéré de son fauteuil, est longuement rééduqué
par une armée de kinésithérapeutes ? Viens, Marguerite !
Point de Marguerite, mais un pauvre diable handicapé balloté dans
tous les sens au gré de l'apesanteur. Faust (le vrai), subitement
ressuscité, a fui en coulisses sur le fauteuil roulant, serrant sur
lui la robe à carreaux de Marguerite. Le handicap, véritable enfer
sur terre ?
[1]
Research Priorities for Robust and Beneficial Artificial
Intelligence: an Open Letter. Janv. 2015
Autonomous Weapons: an Open Letter from AI & Robotics Researchers. Juil.
2015
[2]
Olivier Py, bord de scène à la suite de la représentation
d'Orlando ou l'impatience, Théâtre de la Ville, Paris 12 avril 2015
Photos
© Opéra national de Paris
Retransmission
en direct de l'Opéra Bastille, UGC Toulouse, 17 décembre 2015
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