Ce
sera Hui He ce soir. Murmure de déception dans la salle de cinéma,
qui attendait Netrebko. Comme si on avait oublié la magnifique
Butterfly de la Halle en 2012. À
Paris quelques malotrus, confortablement assis, courageusement tapis
dans le noir de Bastille, lanceront des insultes. Est-ce vraiment
aider et respecter une artiste qui remplace, s'expose, se jette dans
l'arène ?
C'est
la guerre, peut-être la Grande guerre avec ses capotes et tranchées.
Peut-être pas. Une guerre symbole de toutes les guerres. La guerre
qui sous-tend Le Trouvère. Morts, blessés, déplacés. Champ
de croix, champ de ruines, exécutions sommaires. Le délire de la
gitane est hanté de fantômes sans visages, étranges et effrayantes
apparitions dont les masques à gaz font le rictus.
Alex
Ollé et Alfons Flores, par le truchement d'astucieux monolithes
noirs qui s'élèvent ou s'enfoncent, passent sans précipités d'un
lieu à l'autre, de l'intérieur à l'extérieur, de l'action aux
illusions. Du vert glauque, du rouge sang (fascinantes lumières
d'Urs Schönebaum) vient s'accrocher sur une face, souligner une
arrête. C'est le décor qui vit dans cet univers de mort.
L'esquisse et la fluidité font l'efficacité, la beauté.
Pourquoi
donc, alors, avoir laissé la vraie vie sur le plateau ? Mis ce
rideau-miroir en fond de scène où se reflètent, tels des intrus,
chef et spectateurs ? Avoir transformé le plateau en parcours
d'obstacles – il faut éviter trous, marches et filins ? Les
artistes semblent d'abord regarder où ils mettent les pieds et
déambulent sans but entre deux pièges.
Il
y a plus de nuances dans le noir que dans le blanc [1]. C'est un
splendide Comte de Luna qu'incarne Ludovic Tézier alliant phrasé,
diction, longueur du souffle, à un visage qui
conjugue l'amour fou, la jalousie, la violence contenue. Dans le
cloître, tout se tait pour une tempesta del mio cor dont la
dernière syllabe, suspendue, semble ne jamais s'achever.
Regards
provocateurs, postures de défi, l'Azucena d'Ekaterina Semenchuk est
vengeance plutôt que mère adoptive. Les sons filés, les fins de
phrases chantées piano, rares chez ce personnage, magnifient douleur et noirceur.
Peu
d'alchimie entre Manrico et Leonora. Ces deux-là sont-ils vraiment
amoureux ? Marcelo Alvarez prend un élan de sauteur en hauteur pour
projeter ses aigus, et les efforts sont visibles. Ses interventions
depuis la coulisse, cependant, sont magnifiques. Hui He a résolu
les problèmes d'intonation qu'elle avait à Orange et propose un
beau médium. Mais, visiblement tendue et perturbée par l'accueil de
certains, elle craque plusieurs fois ses aigus.
Dans
le cachot Azucena ressasse son cauchemar en berçant une couverture
roulée. Substitut dérisoire de l'enfant qu'elle a précipité dans
les flammes, et de celui qui va mourir, sous nos yeux, de la main de
Luna. La gitane hurle la révélation, tourne l'arme contre elle,
fait feu. E vivo encor ! s'écrie Luna épouvanté,
considérant son pistolet. Pour combien de temps ? Noir.
[1]
Ludovic Tézier, entretien avec Alain Duault
Photos
© Charles Duprat / Opéra national de Paris
Retransmission
en direct de l'Opéra Bastille, UGC Toulouse, 11 février 2016
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