Il
y a d'abord les mains, immenses, fascinantes, de William Christie,
qui empoignent l'orchestre. Qui feront jouer et chanter les artistes
florissants, souffler la tempête, danser les musettes. Il y aura les
chorégraphies justes, inventives, drôles, d'Ed Wubbe et le visible
plaisir des danseurs, en rouge, en travestis, en masques, en
gondoles, en moutons. Et les papillons de Rachel Redmond, l'autorité
de François Lis, les impeccables facéties de Cyril Auvity et Marcel
Beekman... une véritable troupe de solistes, cohérente, superbe.
La
place Saint-Marc grouille de touristes, anoraks, sacs à dos,
valises, plans retournés dans tous les sens, téléphones. Le joyeux
bazar, la foule d'aujourd'hui, composite, l'une des signatures de
Robert Carsen [1]. Oxymore en forme de monstre grotesque, le
gigantesque carnaval impose son ordre rouge en distribuant les
heureux déguisements. La véritable folie peut commencer.
Le
rouge et le rouge, le rouge et le noir. Quand les robes ne sont point
sages et dévoilent haut les jambes, la nonne Raison ne sait où
donner du missel. Mais moine qui rit et moine qui pleure ne se
détournent pas de cette orgie qu'ils sauraient voir.
À
Venise, danse et musique se battent en duel à coups d'entrechats et
de vocalises tandis que les amantes éconduites croisent l'éventail.
Tel le Don Giovanni de Losey, le séducteur arrive en gondole
entouré de sa cour de masques et de dominos ; les lanternes
glissent, mystérieusement, sur le canal de fumée. À
la fenêtre, une ombre blanche dédaigne la sérénade.
Malheureux en
amour, heureux au jeu ? Roue de la Fortune et filles tables à dés
font voler les billets comme autant de billets doux. Ou l'inverse.
Robert
est avant tout, comme moi, un homme de spectacle
au sens global [2].
Et
un homme qui aime mettre en scène le théâtre lui-même.
Pour l'opéra, on apporte tables de maquillage et costumes de
scène, trou du souffleur et feux de la rampe. Le réel est rouge, le
théâtre est blanc : blancs les bergers, blancs les moutons en
redingotes, qui bêlent joyeusement en jouant... à saute-mouton.
Seul
le vent peut voler dans les airs et ravir les jeunes filles. Et c'est
en vain, malgré moult gestes emphatiques, qu'on appelle Jupiter. Qui
peut de ce spectacle interrompre le cours ? / Jupiter doit descendre,
/ Et me rendre / L'objet de mes amours. Rien. Le chef des dieux a
dû quitté les cintres pour être remisé au placard. Rassemblons
donc des mortels.
Éconduite,
la redingote rouge se retrouve seule au milieu des mortels de la
place Saint-Marc, qui émergent de leurs rêves et de leurs
déguisements. La place se vide, seuls restent des détritus.
Dépitée, la redingote rouge jette le tricorne.
Les
Fêtes sont, hélas, finies.
[1]
Alain Perroux. Petit précis de grammaire carsénienne. In
Opéra et Mise en scène – Robert Carsen, L'avant Scène Opéra n°
269, 2012
[2]
William Christie. Témoignage. In Opéra et Mise en
scène – Robert Carsen, L'avant Scène Opéra n° 269, 2012
Photos
© Patrice Nin
Théâtre
du Capitole, 23 février 2016
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