dimanche 26 février 2017

Und : la voix humaine


Une grande statue, hiératique, est posée sur le plateau nu. Mains dans le dos, robe sirène rouge opéra. Accrochées en cercle au-dessus d'elle, des lames de glace brillent et gouttent. Larmes de glace.

 

En retard. La femme attend un Godot. Ressasse l'histoire d'un homme, son café sur la table verte, la botte qui s'enfonce dans le sol, un amant, un mari, un tortionnaire ? Elle est aristocrate, elle est juive. C'est ce qu'elle dit, ou ce qu'elle s'invente. On ne sait pas. La cloche sonne, obsédante. Il y aura bientôt des fracas de vitres brisées, d'explosions, des pleurs, de la fumée. La femme parle, s'interrompt, appelle des fantômes. D'invisibles forces apportent sur des plateaux théière, lettre, bouquet de fleurs jaunes, vase, terre d'une tombe. Plateaux de la pesée des âmes, du jugement dernier ? Les lames de glace, herses, guillotines, s'écrasent au sol au gré de la fonte, clepsydres mesurant le temps restant d'une la vie qui se délite.

C'est une immense scène de folie, beaucoup plus longue que celle de Lucie, que celle d'Ophélie. C'était à l'opéra. La robe sirène est abandonnée : diva défroquée, la Dessay redevient Natalie. Voix chantée troquée pour retrouver un corps, un petit corps aux pieds nus, au crâne chauve, recroquevillé, humain. Une renaissance. Et la voix parlée – magnifique médium – est tout aussi envoûtante.



C'est un défi, une performance physique. Pendant quatre-vingts minutes la comédienne soliloque, juchée sur un tabouret étroit, éclaboussée par la glace qui goutte et se brise. Personne d'autre, si ce n'est Alexandre Meyer aux bruitages et à la musique. Et les fantômes.
Et ce partenaire aléatoire, qui pleut, tombe, se fracasse, surprenant le texte comme le spectateur. Comme pour l'Alceste d'Olivier Py, le décor, là tracé à la craie puis aussitôt effacé, ici glace s'écroulant dans un effrayant fracas final, ne laisse pas de trace du spectacle, de cet éphémère. Seule une nouvelle bête de scène qui se débarrasse de ses faux cils et vient saluer à petits pas de danseuse, pieds nus sur le plateau trempé.

Photos © Christophe Raynaud de Lage
TNT, 25 février 2017

vendredi 3 février 2017

L’Enlèvement au sérail : beaucoup plus pour le Sing que pour le Spiel

Quand il ne regarde pas un film super huit où lui sourit une jeune femme aux cheveux longs bouclés, vêtue d’un chemiser blanc à pois, le Pacha de Tom Ryser joue à la poupée, habillant ses femmes de chaussures à talons, chemisier blanc à pois et perruque de cheveux longs bouclés. Mais l’habit ne fait pas le sentiment.
Le tissu fait-il la mer, les jambes qui courent font-elles le bateau, la voile froissée le naufrage ? Les toiles chargées et appuyées les murs du sérail ? Le sésame pour entrer : une main sur la toile pour passer... du rouge au vert. Mais là, rien, sauf des lits roses à dormir debout. Pour se donner une contenance, les hommes portent tous une arme automatique.



Que faire sur un plateau nu : chanter face public ou singer Tony Manero. Ainsi Pedrillo cultive-t-il le déhanchement et la gestuelle disco, totalement hors de propos et sources d’une sévère dissonance cognitive chez le spectateur mozartien. La fièvre du dimanche après-midi, fort contagieuse, gagne l’ensemble du quatuor, le couple sérieux abandonnant sa noblesse au goulot de la dive bouteille. Étrange bacchanale qui affole même les sous-titres. Murmures dans le public...



Peu de Spiel, mais un très beau Sing. Jane Archibald, Konstanze hiératique, fait passer toute l’émotion par son seul chant. Hila Fahima, voix juvénile et virtuose, affronte crânement les impossibles graves de Blonde ; très à l’aise en scène, elle pallie avec beaucoup de naturel le défaut de direction d’acteurs. L’Osmin de Franz-Josef Selig, belle basse profonde, en impose plus par son autorité vocale que par quelques mimiques qui semblent parfois forcées. Beau Belmonte de Mauro Peter. Seul le Pedrillo de Dmitry Ivanchey est en retrait, desservi par une diction peu idiomatique et des pitreries déhanchées vite agaçantes. Les brèves interventions du chœur sont remarquables, dommage cependant que les dames soient fagotées ! Sous la baguette de Tito Ceccherini, chaque voix, chaque instrument se distingue, on pourra juste regretter quelques menus décalages et un léger manque d’éclat de la banda turca.



Dans sa clémence, le Pacha ne résiste pas à un ultime geste vestimentaire : sa veste noire (sans pois) sur les épaules de Konstanze. Puis il casse en deux son arme automatique - c’était donc un faux, un objet de théâtre !
Parmi les ovations, quelques huées pour ce Pacha et son Travolta.

Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 29 janvier 2017

samedi 24 décembre 2016

Candide : car tout est bien !

Voltaire quitte son voltaire pour saluer la cour à cour. Aurait-il vraiment salué la cour ?

La mystérieuse arche du Concert de Noël n’appartenait donc pas au toit de quelque crèche, mais à ce hangar à étage, à praticables, à estrades, qui fait le tour du monde en une unité de lieu. Trois fois rien évoquent presque tout :  toiles voiles, barrique barque, tréteaux bateaux, ficelles flots, lustre lucre. La neige tombe métaphoriquement. Le séisme fait choir de très fausses pierres et l’anabaptiste se noie dans les dessous. L’énorme baronne est suspendue à sa perruque ; un grand guitariste joue d’une petite guitare et réciproquement. Les moutons rouges, en panier de laine, tricotent. 



Les beaux masques se vautrent dans le fric et la luxure.  De sa main valide, un cadavre remercie qu’on lui remette son bras coupé. Les morts ici ou là sont les mêmes, ils ne sont simplement pas du même côté. Et, parité oblige chez les fripouilles, Vanderdendur est une femme.

C’est drôle mais surtout, grinçant. Car il s’agit bien, comme en 1759, comme en 1956, de dénoncer sous le rire : guerres, massacres, exécutions extrajudiciaires, religions alibis, catastrophes naturelles, ploutocratie, pseudo-science, machisme ordinaire...






James Lowe mène allègrement orchestre et plateau et prenant bien soin de laisser leur place aux jeunes voix. Si le Candide d’Andrew Stenson manque un peu de projection, Ashley Emerson (Cunégonde) négocie jusqu’au cri le très attendu Glitter and be gay. Marietta Simpson fait une truculente vieille monopyge. Et on remarque le beau baryton de Matthew Scollin, particulièrement séduisant dans le rôle de Martin.





Excellent conteur, et logiquement plus modeste chanteur, Wynn Harmon passe de Voltaire à Pangloss par le truchement d’une robe de chambre et de lunettes (car les nez ont été faits...) Jusqu’aux plus petits rôles, la troupe est parfaitement homogène et les artistes du chœur du Capitole s’y fondent en s’en donnant à cœur joie. Et on imagine l’intense travail des habilleuses en coulisses, les changements étant fréquents et rapides.




Musique, chant, danse, costumes, humour... un vrai spectacle de fêtes ? Oui, mais pas seulement. Chacun y lira ce qu’il veut selon qu’il est ou non... optimiste.

Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 22 décembre 2016

lundi 19 décembre 2016

Espæce : décor et des corps

Ils lisent devant un décor qui n’en est pas un, mur gris seulement percé de deux sorties de secours. Ils lisent parce que le mur a affiché « lire ». Ils cherchent dans leur livre parce que le mur a affiché « lire la phrase la plus importante ». Puis ils écrivent au mur, mot à mot, chaque livre devenant une lettre d’une phrase d’un livre.

 

© Victor Tonelli




Corps lisant, corps chantant... décor mouvant. Un peu à cour, un peu à jardin, le mur se meut, entraînant le déséquilibre des corps. Mur décor qui s’approche du quatrième mur, dévorant les corps. Il faudra repousser le mur, décor à corps.

 









Alors le décor prends corps, à leur corps défendant. Décor acteur parmi les
© Christophe Raynaud de Lage
corps figés des acteurs devenus décors. Il tourne sur lui-même, se plie, se déplie, se déploie, se replie. Crée une faille qu’un corps explore ; on redoute la chute du corps. Crée une faille qui se referme sur un corps qui va aller dans le décor. Disparaître.

 






©Christophe Raynaud de Lage






Et l’envers du décor devient décor. L’envers du mur est un mur d’escalade. Ou une bibliothèque remplie de livres blancs. Un livre tombe. Un imprévu livre vivant. Livre qui plie les corps à sa guise, sens dessus dessous.
Et le décor tourne sans fin comme tournaient les portes du château de Barbe-Bleue.

 



Angoisse de la toile blanche, des lampes lucioles inquiétantes du Prisonnier. Celles-ci laissent les traces fluorescentes, rais de vie, vies bientôt rayées.

Il n’y a plus de corps, devenus sans objet. Juste un robot à écrire. Un robot à faire apparaître des E. Errer, écrire, réécrire. Cri... du corps.

TNT, 14 décembre 2016

samedi 26 novembre 2016

Le Turc en Italie : Che bel canto!

Le solo de cor réveille une à une lanternes, enseignes, persiennes.
On baille, on époussette, on sort de son trou, on déménage Rossini. Les carottes sont bien alignées à la devanture de l’échoppe.
Début de service pour la ligne de tramway Coulisses - Scène. Vespa et vélos passent.
Les locataires de l’hôtel ont fenêtre sur cour et jardin, spectateurs au balcon du théâtre qui s’écrit dans la rue.
La Pizza Rustica Vulcano sert Cinzano et café, mais pas de pizzas. Les garçons en terrasse aiment regarder les filles qui marchent sur la place.
Un petit navire glisse, tous feux allumés, sur une mer de rideau bleu. L’accompagne le ressac magnifique des marins fatigués, laissant sur le rivage du Vulcano le Turc, vu de dos, fumant négligemment.






 On prédit l’avenir sur les tréteaux d’un théâtre dans le théâtre dans le théâtre. Le poète écrit ce théâtre dont il se mêle lui-même. Abîme des cinq actes requis par Horace que cette chute dans les égouts ? Il sera soigné par une infirmière - muse au secours d’un Hoffmann en panne d’inspiration.





Le crêpage de chignons au finale du I dégénère en bataille générale avec tirs nourris de carottes, à tel point que le magasin de munitions fermera définitivement. Plus tard, le tram prendra feu, on ne sait trop pourquoi. Le point de vue hyperréaliste d’Emilio Sagi se construit sur des événements obligés, souvent drôles, parfois bruyants : les ballons sont-ils périssables au point de devoir absolument les livrer, avec mille manières aguicheuses, pendant que Narciso crie vengeance ? Non sans humour, le metteur en scène fait sa propre critique : « on travaille ici ! » proteste Pietro Spagnoli ? ou Selim ? quand une fille au téléphone parle haut dans sa chambre d’hôtel.

 





Rien d’étonnant à ce que les femmes se disputent le Turc de Pietro Spagnoli, qui allie la noblesse du chant et une irrésistible séduction naturelle. Alessandro Corbelli semble effacé en début d’ouvrage, puis s’affirme avec une intelligence du comique nonpareille. Le duel en terrasse des barbons phallocrates disputant des coutumes est irrésistible.  La Fiorilla de Sabina Puértolas a la voix et le jeu de la peste piquante, mais devient moins crédible dans la scène sérieuse de la fausse rupture.  Belle Zaida de Franziska Gottwald.







On retrouve avec grand plaisir Yijie Shi, cette fois sans sa valise favorite, qui campe un chevalier servant téméraire ; malgré les ballons qui passent, son air de vengeance, avec les aigus qu’il faut, est captivant. Bien qu’affublé d’un polo orange très laid,  Anton Rositskiy ne se contente pas d’être l’amoureux transi de la belle bohémienne : son unique air, l’air de rien, est magnifique. Pour sa part privé d’air, ZhengZhong Zhou rend cependant son poète remarquablement présent.




Les chœurs sont, comme toujours, parfaits - et particulièrement émouvants dans le chant des marins -, le maestro Caiani sera d’ailleurs mitraillé par les flashes des garçons aux saluts. La direction d’Attilio Cremonesi est souriante et attentive, malgré un orchestre écrasant quelque peu le plateau au I. Le continuo de Robert Gonella et Christopher Waltham est toujours très à propos, quelques dissonances soulignant les désaccords des cœurs.

Si tout semble se résoudre « comme il faut » sous le masque et l’imbroglio des guirlandes, la séance photo avec Rossini soi-même devant le cœur de ballons rouges, joyeusement kitch, ne fait, on le sait, que figer l’instant. Cosi...

Théâtre du Capitole, 20 novembre 2016

Photos © Patrice Nin

dimanche 9 octobre 2016

Béatrice et Bénédict : vous reprendrez bien un peu de Shakespeare ?

« De fait, Berlioz s’est vu contraint de tailler largement dans la comédie de Shakespeare. Seulement sa chirurgie a été à ce point radicale qu’elle est ressortie de ses mains proprement défigurée. » [1] Alors Richard Brunel et Catherine Ailloud-Nicolas remettent du Shakespeare dans du Berlioz imité de Shakespeare. Fallait-il mentionner « d’après Berlioz » ? Peut-être. Cependant l'« indigence du poème » [2] est ici (partiellement) compensée par un argument moins simpliste, plus sombre, cependant entaché de quelques inventions infidèles : Somarone est ici l’affreux calomniateur, cependant que le Don John ajouté n’a qu’un rôle très secondaire, outre celui d’épouser Ursule. Et point de happy end général.
Mais le pari de l’homme de théâtre de faire bien parler et jouer les chanteurs d’opéra, et de ménager des silences signifiants, est aisément gagné. Étrangement ce sont les comédiens parleurs qui semblent par moment avoir oublié d’endosser leur costume. 




Voici donc des civils d’une guerre parmi les guerres réfugiés dans une église à chaire et néons dont le toit est éventré. Des gravas tombent, mais l’électricité fonctionne toujours. Les tronches cassées des absents sont autant d'icônes pour lesquelles des bougies vacillent. Des matelas à même le sol, des armoires, beaucoup d’armoires, qui se feront bosquets pour amants puis tables de banquet. Il pleut, on met des bassines, qui deviendront baquets pour les soldats de retour. Claudio arrive en fauteuil roulant, se lève en s'appuyant sur une béquille, puis courra bientôt comme un lapin (blanc). Les treillis se retrouvent en caleçon pour se laver de la guerre. On se rince l’œil. Dans les armoires d’impeccables serviettes blanches attendent, bien pliées.
Sensualité et onirisme l’emportent sur la comédie. Le nocturne est propice à l’abandon, l’amour donne des ailes à la mariée et de l’ardeur aux papillons (sont-ce des drones ? non il ne semble pas ; alors des vrais ? vers où volent-il ? Mystère de l’effet papillon...)



Sous la direction enjouée et attentive de Tito Ceccherini, le Berlioz musicien fait merveille, en fosse, en bord de fosse et sur le plateau.  Les artistes du chœur, toujours parfaitement préparés par Alfonso Caiani, font épithalame grotesquement funèbre ou noce joyeusement imbibée avec un égal bonheur, faussement dirigés par le Somarone un peu effacé de Bruno Praticò.






Julie Boulianne (Béatrice), caractère bien trempé et vibrato serré et seyant, Lauren Snouffere (Héro), aérienne dans ses vocalises, et Gaia Petrone (Ursule), au mezzo rond et charnu, réservent les plus beaux moments : le temps est suspendu, l’émotion monte, irrépressible. Joel Prieto (Bénédict), dont la diction chantée et parlée est remarquable, affronte avec aplomb ses périlleux aigus, tandis que Aimery Lefèvre (Claudio) et Thomas Dear (Don Pedro), privés de premier plan par la partition, interviennent avec une belle autorité. 



Qu’en eût dit Shakespeare, qu’en eût dit Berlioz ?  La commedia è finita pour le couple Héro - Claudio. Lui pleure sur la mue dérisoire - robe et chaussures de mariage - qu’elle laisse avant de s’éloigner sans se retourner.

[1] Jean-Michel Bèque - Shakespeare travesti ou les manquements d’un fidèle à son Dieu. In [2]
[2] Béatrice et Bénédict, l’Avant Scène Opéra n° 214, 2003.

Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 2 octobre 2016

samedi 16 juillet 2016

Faust : Satan conduit le bal


D'une page du grand livre le vieux Faust se fait une couverture. « Dieu ! » Un spectateur retardataire s'installe dans la loge à cour. On n'est pas discret dans l'au-delà du quatrième mur.

Le décor hésite entre réalisme et abstraction hermétique. Pour jouer à cache-cache avec le diable, on ouvre et ferme scrupuleusement les portes d'une sorte de véranda cage, ni jardin ni demeure chaste et pure, pour finalement passer au travers des vitres. La coulisse est manifestement un puits d'eau bénite. Et Marguerite est subitement victime d'un syndrome de tunnélisation attentionnelle sur le bouquet (de marguerites) alors que le coffret de bijoux est posé bien en évidence juste à côté. En fond de scène, comme au fond de la cassette, un miroir : le chef et quelques spectateurs y font leurs coquets.
À l'église, les esprits du mal n'accourent pas ; l'enfer est vide. Mais l'effroi est bien là : l'organiste en soutane n'est autre que Méphisto, cependant que des bures inquiétantes sortent de l'ombre.





Un éventail rouge et tout s'arrête. Jusqu'à la caricature. Si le veau d'or est toujours debout, les buveurs sont toujours à genoux. En grand maître de tessen-jutsu, le diable domine un duel symboliquement immobile, à l'issue duquel Valentin, étrangement, se tiendra le flanc. Étrange aussi cette machine de torture à laquelle est attachée Marguerite, peu cohérente avec le livret – Viens ! Fuyons ! - et qui semble n'avoir pour but que de l'empêcher d'approcher le petit cercueil placé en avant-scène.











Claus Peter Flor salue l'orchestre, tire son chapeau à un soliste, respire avec la musique. Les artistes du chœur, toujours parfaits, sont hélas souvent réduits à des interventions face public sans véritable caractérisation ; certes la valse valse, mais très loin de la subversion.
Pour cette dernière représentation, John Chest est manifestement en méforme et ses efforts vocaux et scéniques pour donner voix et corps à un Valentin cependant touchant sont perceptibles. Maite Beaumont incarne justement un Siébel sensible, pauvre garçon estropié. La Dame Marthe de Constance Heller, voisine un peu jeune pour être un peu mûre, ne demanderait, si la mise en scène le lui permettait, qu'à s'amuser plus avec le diable.


Le Faust de Teodor Ilincai est absent à lui-même, atone, transparent. Voix plate, le corps emprunté, il ne semble ni heureux de sa nouvelle jeunesse, ni effrayé par les âmes chauves des trépassés, ni tenté par les armures de Walkyries dénudées des reines et des courtisanes. Toute autre est sa Marguerite. Articulation soignée, intelligence du texte, Anita Hartig, pourtant annoncée souffrante, passe avec aisance de la timidité de la jeune fille à la folie de la condamnée. On pourra cependant reprocher une tendance à allier aigus et forte.
Il conduit le bal, saute, virevolte, trébuche sur une marche, arrête le temps, ricane, se démène comme un (beau) diable... Alex Esposito chante et joue un Méphistophélès plus Don Juan que Satan, plus rouge que noir, dandy jeune et magnifique.


Le finale se voudrait abstrait, symbolique – où Méphisto entraîne Faust et comment meurt Marguerite sont des questions sans objet. Alors pourquoi diable cette apothéose avec foule bien costumée et bien rangée faisant irruption dans ce qui fait office de prison ? Les voies de Pâques sont décidément impénétrables.

Photos © David Herrero

Théâtre du Capitole, 3 juillet 2016