Jago
est peut-être le plus mauvais des mauvais garçons de l'opéra .
Quelque dix-neuf ans plus tard, Arrigo Boito en fait le fils
spirituel de son Mefistofele (1868) : le Credo de Jago
à l'acte II d'Otello, dont les vers et sentiments [sont]
imputables seulement à Boito [1] est un écho maléfique au
Sono lo spirito che nega du diable se présentant à Faust.
Rido e avvento questa sillaba « No » lance
Méphisto. « No ! » crie Jago en ultime défi avant sa
fuite.
Que
l'arme soit un mouchoir ou un éventail, on se cite entre mauvais
garçons : Per riddure un geloso alla sbaraglio / Jago ebbe un
fazzoletto... ed io un ventaglio !... (Scarpia, Tosca), et
on se délecte de l'effet du poison de la jalousie : Già il
veleno l'ha rosa ! […] Morde il veleno ! (Scarpia) ; Il mio
velen lavora (Jago).
(Photo : Mary Altaffer) |
Dominant
le monde de sa silhouette noire dès la tempête de l'acte I,
instillant son venin sans jamais regarder ses victimes en face, Falk
Struckmann incarne à la perfection la manipulation et la perversité.
Beaucoup plus à son aise vocalement qu'en Scarpia aux Chorégies d'Orange (2010) , il retrouve son legato – toujours avec cette
étrange façon de projeter la voix les lèvres rentrées.
Johan
Botha faisait son retour en Otello après trois représentations
manquées pour cause de maladie. Malgré un certain vibrato, la voix
est belle et assurée, mais l'interprète est autant dévoré par le
stress que le personnage par la jalousie. On va lui faire rouler
les yeux, se tordre par terre : c'est Otello grotesque [2].
Otello roule des yeux et Johan lance de fréquents et inquiets coups
d'œil au chef d'orchestre. Et on ne peut réprimer un sourire à la
vue de cette silhouette massive qui, après s'être poignardée,
s'assied prudemment avant de s'écrouler.
(Photo : Antony Tomassini) |
Le
magnifique prélude aux bois de l'acte IV annonce la Chanson du
saule et l'Ave Maria que Renée Fleming sublime. Comment
elle parvient ensuite à chanter ses derniers mots après avoir chu à
plat dos dans les escaliers du lit (sans s'y être assise
préalablement...) reste un secret de grande professionnelle.
Michael
Fabiano, tant physiquement que vocalement, est un Cassio solaire, qui
a tout pour rendre vraie cette histoire d'adultère. Mais seul
l'infâme Jago mène le terrible jeu du mouchoir.
(Photo : Ken Howard) |
[1] Kobbé - Tout l'opéra, Bouquins 2008
[2] Catherine Clément - L'opéra ou la défaite des femmes, Figures Grasset 1995
[2] Catherine Clément - L'opéra ou la défaite des femmes, Figures Grasset 1995
Metropolitan Opera, Live in HD, 27 octobre 2012
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