Comment
mettre en scène ce livret à la fois indigent et abracadabrant où
le deus ex machina règne en maître ? Éric Vigner choisit
l'épure mais garde l'accessoire, éclipse la magie au profit d'une
esthétique japonisante parfois belle, souvent illisible et vaine. Le
fond de scène est nu, les feux de la rampe en néon, des panneaux de
bambou font shoji, et des rideaux de perles montent et
descendent, s'effondrant jusqu'au sol pour figurer une maison
détruite. Le signifiant s'accroche aux cintres. Sur un smartphone
géant s'affichent les surtitres (le spectateur épargne ainsi ses
cervicales), mais aussi des séquences vidéo qui se répètent en
boucle. À l'entracte, l'écran égrène l'heure pendant que les
spectateurs lisent leurs mails sur le leur. Le baroque du XXIe
siècle.
© Jean-Louis Fernandez |
Les
due sbirri de Zoroastro, jumeaux en lunettes et costumes noirs
(Grégoire et Sébastien Camuset), scrutent la salle avec leur lampe
phare. Ils ne traquent pas Cesare Angelotti jusque dans son puits
mais lisent l'avenir dans les astres pendant que leur patron cherche
l'inspiration magique dans son petit livre rouge. La magie générée
par des gestes impérieux déclenche l'apparition de BB et ses fesses
sur le smartphone géant (l'amour fait partie des effeminati
sensi) cependant que les deux sbires miment gauchement un combat
de boxe française (Va, combatti per la gloria) ; ou plus tard
le vol d'une colombe censée apporter la liqueur guérisseuse, qui
sera administrée par les sbires par voie intra-veineuse, boîte,
seringue, aiguille et garrot bien désinfectés.
© Jean-Louis Fernandez |
Un
drôle de bracelet-manche lacé dont les franges forment un petit
rideau de perles assorti aux grands, passe de bras en bras. Le
manteau d'Angelica a un col à manger du Mont-Dore et la robe de
Dorinda a une fâcheuse tendance à s'accrocher aux perles des
rideaux – c'est heureusement la robe qui gagne après une bataille
acharnée. Medoro a le bras en écharpe au premier acte, puis guérit
subitement ensuite : magie ou réalité ?
On
retiendra cependant les ombres, splendides et inquiétantes, créées
par les lumières de Kelig Le Bars ainsi que les vagues tempétueuses
des rideaux de perles : les sbires n'excellent que dans le rôle de
truchements visuels et sonores.
© Patrice Nin |
C'est
un Orlando (David DQ Lee) fatigué, déprimé, qui s'appuie sur une
canne, mais qui se transcende dans des aigus aériens et sait
reprendre avec aisance une voix de baryton pour atteindre les
tréfonds de la partition. Le trio féminin (Adriana Kučerová
– Angelica, Kristina Hammarström – Medoro, Sunhae Im –
Dorinda) est beau et bien équilibré. Luigi de Donato peine dans
les vocalises de Zoroastro et semble forcer pour passer la rampe. Le
spectacle magique est dans la
fosse, où la scansion des corps et les gestes enthousiastes de
Jean-Christophe Spinosi, qui parfois appuie son coude gauche sur la
rambarde en auditeur conquis par ses musiciens et chanteurs, font
écho à la tempête et aux arie
di furore. Splendide
basse continue au violoncelle et au théorbe, dont on entend
avec plaisir le délicat pincement des cordes.
Au
rideau final quelques huées pour les sbires inélégants,
vite effacées par un bis
rock and roll du choral final où Orlando, la magie dans les veines,
se défoule enfin en passant allègrement du registre de baryton à
celui de contre-ténor.
© Patrice Nin |
Théâtre
du Capitole, 16 novembre 2013
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