À
New-York comme à Paris, Paris sera toujours Paris, avec sa mansarde,
son café Momus, sa neige sous laquelle les dames n'ont jamais froid,
ni aux pieds, ni ailleurs. Un peu de poussière mélangée aux
flocons. Il est cependant des poussières plus fraîches que
d'autres.
Centième
représentation dans la mise en scène de Jonathan Miller à Bastille
: certes il y a la fille de joie, la vespasienne, les réclames
pour Byrrh et Dubonnet ; mais aussi la confusion
des foules et des enfants, bizarrement à la fois dans et devant le
café ; les quatre jeunes amis qui oublient de danser fandango et
quadrille ; et Rodolfo qui est là, à côté du divan où Mimi se
meurt, détournant soigneusement et artificiellement la tête. Trente
et un ans après la première, la mise en scène de Franco Zeffirelli
reste du Zeffirelli, avec ses foules opulentes bien ordonnées, un
cheval, mais aussi des silhouettes de cinéma en noir et blanc, une
bataille épique sur les toits ; et Rodolfo range, ferme les
rideaux, s'active, et logiquement ne regarde pas le divan.
Paris - Franco Zeffirelli |
Pourquoi
cette émotion extraordinaire via l'écran depuis New York, et
cet œil qui reste désespérément sec dans la salle à Paris ? Les
Musetta (Susanna Phillips / Brigitta Kele) sont pétillantes, les
Marcello excellents (Massimo Cavalletti / Ludovic Tézier), les
Colline font de beaux adieux à leur vieux manteau (Oren Gradus /
Ante Jerkunica). Mais Bohème, c'est le couple Rodolfo –
Mimi.
Quelques
heures après sa première Butterfly en soirée et seulement
deux de sommeil, Kristine Opolais entre sur le plateau au pied levé.
La démarche fatiguée, les yeux cernés, elle chante avec une
fébrilité perceptible et quelques accents de Cio-Cio san, un peu
ailleurs, comme se demandant ce qui lui arrive dans cette mise en
scène qu'elle n'a jamais pratiquée. Elle a exactement le masque du
rôle, immensément crédible. Avec Vittorio Grigolo, qu'elle n'avait
jamais rencontré auparavant, qui certainement l'aide, subtilement,
dans ses mouvements, l'alchimie est immédiate.
Il tombe amoureux de
cette jeune femme fragile et en oublie même ses tics de ténor
latin.
Les mots parlés Che vuoi dire quell'andare e venire, quel
guardarmi cosi... et la double exclamation Mimi ! Mimi !
sont irrésistibles. On pleure.
Madame
Gheorghiu, elle, ne remplace pas ses collègues . N'apparaît pas dans
les productions qui n'ont pas été faites pour elle. Puccini
aurait-il donc composé sa Bohème pour Angela ? À
Paris, elle conduit le bal. Une petite brodeuse cette aguicheuse qui
minaude ? On a peine à y croire.
Alors fermons les yeux, et admirons
cette ligne de chant, ces phrases longues, ce souffle
On soupçonne cependant Daniel Oren de baisser
le volume de l'orchestre pour que madame passe la rampe. D'ailleurs
Piotr Beczala, qui n'est pas le premier ténor venu, est lui presque
systématiquement couvert.
Au point que l'on n'entend pas le Mimi
! Mimi ! final.
Et ce n'est pas qu'à cause des mouchages
intempestifs de la cravate de devant, invitée par quelque chasseur
d'affaires.
Photos
MET © Marty Sohl / Cory Weaver
Photos
Opéra de Paris © Site FB Angela Gheorghiu
Metropolitan
Opera Live in HD, 5 avril 2014
Opéra
Bastille, 7 avril 2014
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