Police
au balcon, police en galerie.
Dans
la caverne sombre, quelques homo sapiens, hirsutes, en
haillons, font du trafic d'amphores en bord de rivière souterraine
tandis que d'autres se recueillent sur le mystérieux tombeau de
Poussin – Et in Arcadia Ego.
Vanité. Le public discute et les instruments se chauffent, comme à
l'accoutumée.
Le
rideau se ferme pour une intervention d'Yves Sapir : pédagogie,
pertinence, justesse pour l'intermittence. Applaudissements nourris.
Le
sol de la grotte recule ou avance, bruyamment, dégageant plus ou
moins la rivière dans laquelle chacun patauge, s'éclabousse,
glisse. Coups de pied dans l'eau.
Daphné
[1] tient un rameau
rachitique tandis que les branches d'un arbre plus imposant sont
suggérées par les mouvements de bras académiques de quelques
nymphes. Leukippos, perruqué comme le Thor de chez Marvel, se joint
à la ramure mais ne reste pas de bois. Vanité encore, il finira,
occis par un arc sans flèche mais avec pétard, sur le marbre froid
d'une morgue dont les murs portent en lettres d'or le nom tronqué de
son bouillant rival : Apol. Mais il se lèvera et marchera à
l'appel de Dionysos, qui n'est pas le dieu du théâtre pour rien.
L'opéra
a décidément peur de représenter les orgies, l'affolement des
corps, les joyeux ébats. Mouvements confus des chœurs en loques,
pendant que quelques couples sagement vêtus de tuniques couleur de
vin se roulent gentiment dans l'eau. Mais les servantes sont coquines
et les pâtres sont beaux. Mais l'altière Gaea a les graves généreux
de Anna Larsson. Mais l'orchestre, émouvant, livre la vérité
intime, sous la baguette subtile de Hartmut Haenchen.
Flanqué
de son cortège qui suit tous ses mouvements, puis champion du lasso
avec arc, Apollon fait l'ado sûr de lui, désinvolte et
condescendant, malgré sa couche culotte mal ajustée et ses cheveux
qui manifestement le gênent. Andreas Schager le rend bestial,
odieux, tonitruant, dieu du chant métamorphosé en Stentor. Plus
mesuré est le Leukippos de Roger Honeywell, qui cependant chante un
désir emprunt de violence plutôt que l'amour pastoral. Face à ses
deux prétendants impétueux, et littéralement sidérée par
l'étreinte (le viol ?) de Phœbos, la Daphné de Claudia Barainsky
semble effacée, craintive, petite.
Enfin
débarrassée de ces hommes, seule dans la caverne, à demi-ensevelie
puis disparaissant dans quelque anfractuosité, elle s'offre à la
nature dans un chant magnifique, bouleversant. Un Apollon
allégorique, au corps d'or, évolue gracieusement au tissu. Comme
mues par la volonté de la jeune fille, les parois de la caverne se
rapprochent puis s'effacent pour laisser place à un laurier
triomphant, tournoyant majestueusement sous la lumière argentée de
la Lune, et d'où s'échappe cette ultime vocalise d'amour
éternel, sublime.
On
eût aimé quelques secondes de silence pour laisser couler une larme
furtive après la dernière note.
[1]
ἡ δἁφνη, le laurier
- A. Bailly. Abrégé du dictionnaire Grec – Français,
Hachette
Photos
© Patrice Nin
Théâtre
du Capitole, 29 juin 2014
Extraits du spectacle
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