samedi 12 juillet 2014

Daphné : le mythe dans la caverne


Police au balcon, police en galerie.
Dans la caverne sombre, quelques homo sapiens, hirsutes, en haillons, font du trafic d'amphores en bord de rivière souterraine tandis que d'autres se recueillent sur le mystérieux tombeau de Poussin – Et in Arcadia Ego. Vanité. Le public discute et les instruments se chauffent, comme à l'accoutumée.
Le rideau se ferme pour une intervention d'Yves Sapir : pédagogie, pertinence, justesse pour l'intermittence. Applaudissements nourris.



Le sol de la grotte recule ou avance, bruyamment, dégageant plus ou moins la rivière dans laquelle chacun patauge, s'éclabousse, glisse. Coups de pied dans l'eau.


Daphné [1] tient un rameau rachitique tandis que les branches d'un arbre plus imposant sont suggérées par les mouvements de bras académiques de quelques nymphes. Leukippos, perruqué comme le Thor de chez Marvel, se joint à la ramure mais ne reste pas de bois. Vanité encore, il finira, occis par un arc sans flèche mais avec pétard, sur le marbre froid d'une morgue dont les murs portent en lettres d'or le nom tronqué de son bouillant rival : Apol. Mais il se lèvera et marchera à l'appel de Dionysos, qui n'est pas le dieu du théâtre pour rien.
L'opéra a décidément peur de représenter les orgies, l'affolement des corps, les joyeux ébats. Mouvements confus des chœurs en loques, pendant que quelques couples sagement vêtus de tuniques couleur de vin se roulent gentiment dans l'eau. Mais les servantes sont coquines et les pâtres sont beaux. Mais l'altière Gaea a les graves généreux de Anna Larsson. Mais l'orchestre, émouvant, livre la vérité intime, sous la baguette subtile de Hartmut Haenchen.



Flanqué de son cortège qui suit tous ses mouvements, puis champion du lasso avec arc, Apollon fait l'ado sûr de lui, désinvolte et condescendant, malgré sa couche culotte mal ajustée et ses cheveux qui manifestement le gênent. Andreas Schager le rend bestial, odieux, tonitruant, dieu du chant métamorphosé en Stentor. Plus mesuré est le Leukippos de Roger Honeywell, qui cependant chante un désir emprunt de violence plutôt que l'amour pastoral. Face à ses deux prétendants impétueux, et littéralement sidérée par l'étreinte (le viol ?) de Phœbos, la Daphné de Claudia Barainsky semble effacée, craintive, petite.

Enfin débarrassée de ces hommes, seule dans la caverne, à demi-ensevelie puis disparaissant dans quelque anfractuosité, elle s'offre à la nature dans un chant magnifique, bouleversant. Un Apollon allégorique, au corps d'or, évolue gracieusement au tissu. Comme mues par la volonté de la jeune fille, les parois de la caverne se rapprochent puis s'effacent pour laisser place à un laurier triomphant, tournoyant majestueusement sous la lumière argentée de la Lune, et d'où s'échappe cette ultime vocalise d'amour éternel, sublime.

On eût aimé quelques secondes de silence pour laisser couler une larme furtive après la dernière note.

[1] ἡ δἁφνη, le laurier - A. Bailly. Abrégé du dictionnaire Grec – Français, Hachette

Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 29 juin 2014

Extraits du spectacle

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