« Ce
qu'il faut voir, c'est ce qu'on écoute » [1]
« Elle
est malade » [1]. Le médecin, séduisant, attentionné,
légèrement inquiet, est toujours présent. Peut-être amoureux
aussi – la vie privée peut-elle être totalement étrangère à la
vie sur scène ?
Olympia
descendue de son tableau, Violetta a un lit démesuré – « son
instrument de travail » [1], une coiffeuse, une camériste
noire. Sempre libera – je dois, toujours libre, folâtrer de
joie en joie. Drôle de liberté qui doit. Et la mort rôde
déjà au seuil de la chambre. Fêtards, hommes et femmes, sont des
croque-morts immobiles, bras croisés, corbeaux attendant leur proie
qui fait semblant dans l'indiscret rouge. Un brindisi funèbre.
Libiamo. Ils ne bougent pas.
Arbre
avec feuilles à jardin, noir à cour. Changement de plan, les
invités font tapisserie dans l'escalier de Flora, toujours noirs,
masqués, effrayants, menaçants. Rien que le noir, au-delà des
feux de la rampe, et des silhouettes qui [la] prenaient sans
s'éprendre [2]. De la terrible immobilité émergent des garçons
gitanes, une cuadrilla de filles, un toro de pacotille,
le grotesque en sang et or.
Et
quand la mort vient, c'est dans la chambre fantôme où on a installé
un pauvre lit d'hôpital. Le miroir de la coiffeuse a disparu sous un
drap mortuaire, l'Olympia a été décrochée et retournée,
le matelas de plaisir roulé et ficelé. Du fond de scène viennent
les échos noirs que font entendre les masques en Carnaval
[2].
Benoît
Jacquot filme sa mise en scène au plus près des gouttes de sueur et
des pinces qui se détachent du chignon et – étrangement – ose
ça et là un plan tremblé de téléphone portable par-dessus
l'épaule dénudée d'une spectatrice du parterre.
Diana
Damrau n'a pas la fragilité de Natalie Dessay et semble exagérer
certains effets, frisant l'hystérie. Mais la voix est facile et
domine celle de Francesco Demuro, qui force son Alfredo jusqu'à la
limite de justesse. C'est le Giorgio Germont de Ludovic Tézier –
autorité naturelle et visage magnifiquement expressif – qui porte
l'émotion au sublime avec un somptueux duo et un Di Provenza il mar, il suol qui fait frissonner. Le rôle mineur – cependant
souligné par la mise en scène – du docteur Grenvil, est
luxueusement interprété par Nicolas Testé.
L'Addio
del passato est poignant. Le médecin, la camériste, Germont
père, tournent le dos à la mort qui s'approche. Un léger strabisme
de Diana Damrau, défaite, hagarde, ajoute au réalisme. Gros plan
final sur sa main inerte.
[1]
Benoît Jacquot, entretien avec Alain Duault
[2]
Michel Schneider – Voix du désir, Eros et opéra. Buchet –
Chastel 2013.
Photos
© Opéra National de Paris / Elisa Haberer
En
direct de l'Opéra Bastille, 17 juin 2014
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