De retour à
Paramore. Des portes fermées, des ancêtres poussiéreux au mur, des
histoires de famille. Et un escalier. Qu'y a-t-il derrière cette
grande porte là-haut, qu'un appariteur austère entrouvre de temps
en temps ? Une autre chambre hantée ?
Deux garçonnets en
culottes courtes découpent des masques en papier. Jouent à la
bagarre, à pierre-feuille-ciseaux, retournent à leur découpage.
L'un d'eux se coupe, l'autre essaie aussi de se blesser, n'y parvient
pas. C'est étrange. La mère, ou la gouvernante, brode un mouchoir.
Pollux - Exposition Rameau et la scène, opéra Garnier (photo C.T.) |
Mariame Clément
invente le passé, fait des divertissements des pantomimes de
doubles. Le gamin en bleu immortel est le fils préféré, celui
qui est invité dans la pièce interdite, qui joue à l'avion. Le
frère en beige terrien, résigné, dévore des livres. Ca flirte
avec les deux cousines, lettres dérobées, lues secrètement,
cachées sous le tapis de l'escalier – le crime est presque
parfait. Phébé la grande est jalouse de cette chipie de Télaïre,
solaire et rusée. La cohorte de domestiques, dans une parfaite
symétrie, balaie, range, dispose, décore.
On ne descend pas aux
Enfers, on y monte. Point de rivage sombre, mais les néons
crus d'une morgue et le film en noir et blanc des souvenirs que
n'effacera pas le Léthée. Le noir est réservé aux rituels
terrestres, toilette, cercueil, grand deuil éploré. La mort est
lourde ici-bas. Les ombres heureuses, sorties des tableaux, du musée
de cire voisin – ou des réserves de costumes du théâtre – sont
de toutes les époques.
Les frères échangent
veste, chemise, cravate, pantalon. Bleu contre beige. Murmures dans
la salle, il en faut bien peu pour effaroucher le spectateur engoncé
dans sa pudibonderie.
Affairé aux balais,
aux échelles, aux guirlandes de fleurs, aux tables que l'on dresse,
aux rituels mortuaires, entrant et sortant, le chœur est un
véritable personnage, dont les émotions sont subtilement jouées et
chantées – Que tout gémisse, Que tout s'unisse, pleuré
dans l'escalier, est un moment intense, suspendu.
Aussi bien
scéniquement que vocalement, le Castor d'Antonio Figueroa est hélas
bien pâle. L'immortel Pollux a en revanche l'autorité tout en
retenue d'Aimery Lefèvre, baryton magnifique sur toute la ligne.
Télaïre a la fraîcheur de la lumineuse Hélène Guilmette,
contrastant avec la Phébé sombre, puissante, trop puissante, de
Gaëlle Arquez.
Mercure médecin
efficace, Sergey Romanovsky fait, en Athlète, éclater fièrement
les trompettes et leurs redoutables contre-ut. Konstantin Wolff est
étrangement plus convaincant dans son rôle muet d'appariteur,
gardien de la porte, que lorsqu'il chante le Grand Prêtre. Il en est
de même pour Dashon Burton, Jupiter et pater impressionnant
d'aura et de stature, mais dont la voix n'en impose pas autant que la
présence. Jolies interventions de Hasnaa Bennani, bien que rudoyée
par le chef de famille.
Les Talens lyriques
et Christophe Rousset cisèlent les rythmes, adaptent le temps au
temps du plateau, distillent une palette riche de sensations, de la
déploration au formidable tonnerre.
Non, ça ne s'est pas
passé ainsi, dit Mariame Clément. Il n'y a pas de promenade aux
Enfers, pas de substitution de frères, pas d'agapes avec gâteau
venant par moitié à cour et à jardin. Un mort reste mort –
revoici le cercueil, son cadavre et le cortège. Des années après,
Phébé, vieillie, les cheveux poussiéreux comme la rampe de
l'escalier, revient hanter la maison, Lady Macbeth à l'allumette
vacillante. Elle ose enfin ouvrir la porte mystérieuse. Derrière,
rien. Chaconne finale.
Photos
© Patrice Nin
Théâtre
du Capitole, 29 mars 2015 (dimanche des... Rameaux)
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