Nous
avons en musique des Faust et pas de Faust [0].
Le
titre seul de cet ouvrage indique qu'il n'est pas basé sur l'idée
principale du Faust de Goethe, puisque, dans l'illustre poème,
Faust est sauvé [1]. Le Faust de La Damnation pactise –
tardivement – avec le diable pour sauver Marguerite, et non pour
devenir un dieu ou un magicien (Marlowe 1589), pour répondre à ses
questions existentielles (Boito 1868), pour atteindre la connaissance
absolue (Goethe 1808 ; Lenau 1836 ; Busoni 1925 ; Fénelon 2007), ou
la jeunesse et la jouissance (Goethe 1808 ; Gounod 1869 ; Boito
1868).
Ce
Faust n'est pas vieux [3], il souffre de solitude et de mélancolie
romantique « Oh je souffre! Je souffre ! […] Par le monde où
trouver ce qui manque à ma vie ? » et veut en finir.
Dans
cet ouvrage où l'ellipse dramatique est la règle et la
continuité l'exception [2], c'est l'orchestre et non les
subterfuges scéniques qui représentent, et c'est à
l'auditeur d'imaginer ce théâtre rêvé [2]. Faust est
d'abord le spectateur, l'auditeur, le narrateur du monde qui
l'entoure. Alors qu'il est diaboliquement endormi par les roses
du diable, la Marguerite qui lui apparaît n'est-elle qu'un songe ?
La course à l'abîme un cauchemar ?
Bryan
Hymel, Enée conquérant en janvier dernier au Metropolitan Opera,
est manifestement heureux d'être là, et vit la musique. Son Faust
est parfait de diction et de beau chant, surtout spectateur
(magnifiques invocations à la Nature), détaché des péripéties.
Un manque de puissance le fait disparaître parfois sous les forte
de l'orchestre et le galop de Vortex et Giaour. Son cri de descente
aux enfers est saisissant.
En
Méphistophélès [4], Alastair Miles n'a pas le diable au corps. Si
le texte est parfaitement compréhensible et chanté, l'incarnation
n'a pas la rouerie que l'on attendrait, et les quelques accents et
mimiques placés en fin de phrase pour faire le méchant sont quelque
peu artificiels.
Olga
Borodina fut une perverse Amnéris en décembre à New York. Cette
voix puissante, ces graves profonds, cette présence ardente en font
une Margueritophélès séductrice et vénéneuse plutôt qu'une
fleur chaste et pure. Le duo de la Chambre est fatal à Faust, dont
les mots d'amour sont diaboliquement couverts par ceux – souvent
incompréhensibles – de son éphémère conquête.
© David Herrero |
L'Orféon
Donostiarra chante avec de belles nuances, mais en sabir de
Pandæmonium
du début à la fin. Les femmes sont vêtues d'une sorte d'aube de
vierge divine, pas très seyante. Un baryton, suppôt de
Satan, a un porte-partition rouge feu. Le chœur devient plus
intelligible dès l'entrée des jeunes de la Lauzeta et le cri
d'effroi des femmes et des enfants est glaçant. Berlioz réclamait
dans l'idéal un chœur de deux ou trois cents enfants. [2]. On peut
regretter que le solo séraphique Margarita ! soit chantée
par une adulte, et que La Lauzeta, chœur d'enfants de Toulouse, soit
nettement renforcée par des jeunes filles qui n'ont plus ce timbre
des anges. L'apothéose de Marguerite est cependant un moment de
grande émotion, prolongé par l'intensité du silence demandé par
la baguette de Tugan Sokhiev.
[0]
Paul Dukas. In [2]
[1] Hector Berlioz, Avant-propos de La Damnation de Faust. In [2]
[2]
Emmanuel Reibel, Faust – La musique au défi du mythe. Les
chemins de la musique, Fayard, 2008
[3]
Nous rectifions ici l'erreur du programme de salle.
[4]
Méphistophélès : de μη :
non et πιστός :
digne de foi, fidèle ; et de φηλόω:
tromper.
Halle
aux Grains, 8 février 2013
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