Des
arbres, des grenouilles, des chauves-souris, une théière et une
bergère Louis-XV, un feu et une arithmétique, un éoliphone, une
râpe à fromage, comment monter L'Enfant et les sortilèges ?
En
osant l'impossible, en réalisant un rêve. En faisant confiance à
des artistes débutants. Ce que font les directeurs du Théâtre du
Capitole et du Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse,
sous l'impulsion du baryton Jean-Philippe Lafont.
Le
tout jeune metteur en scène spect-acteur Alexandre Camerlo
métamorphose chaque spectateur en Enfant plongé dans l'illusion, la
magie, l'épouvante, dans un théâtre de surprises, d'effets
baroques, de dédoublements, de mouvements cinématographiques. La
libellule virevolte au-dessus de la scène, chouette et rossignol
sont perchés dans les loges d'avant-scène. Les déplacements des
animaux sont confondants de naturel : sauts et progression des
rainettes, hésitations du rossignol, félinité des chats.
Photo © Patrice Nin |
Juchée
sur une crinoline gigantesque, l'autorité dominatrice de la Mère
(Deborah Tardy) devient ombre diabolique, doigt inquisiteur,
menaçant. Cette main se lève, interroge de l'index.
L'horloge
comtoise (Omar Hasan) sonne avec l'accent argentin tandis que le
sabir anglo-asiatique est versé avec grâce par le service à thé
dansant de François Almuzara et Deborah Tardy.
Bondissant
hors de la cheminée, le feu crépite des vocalises d'Anaïs
Constans, flammèches brillantes jusqu'au dernier sursaut, replié
dans l'âtre, sous la cendre.
Admirablement
préparés par Rolandas Muleïka, les Pâtres et Pastourelles (chœur
d'adultes du CRR), arrachés de la tenture à petits personnages
que l'Enfant a lacérée, transmettent un chagrin de ne
pouvoir plus se joindre, tendre histoire déchirée, qui
va au cœur. Dans le jardin, ils seront Bêtes et Arbres qui accusent
puis pardonnent. Étrangement, les sauts et brasses de grenouilles
leur siéront à merveille alors les déplacements des bergers
semblent empruntés et confus.
Photo © Patrice Nin |
La
Princesse (délicate Céline Legouix) sort d'un livre déchiré –
sacrilège de l'Enfant, un livre de Colette.
Les
chiffres en rugbymen (les enfants de la maîtrise du CRR) tentent en
locomotive Le voyage à travers l'impossible monde de
l'Arithmétique (Hugo Tranchant qui peine, satanées maths ! à
passer la rampe dans le déchaînement des problèmes de robinets).
Les
chats (Marlène Moly, Xavier Luc – qui à n'en point douter furent
chats dans une autre vie), s'étirent, minaudent, jouent et se
caressent dans d'irrésistibles miaulements.
© Walt Disney |
La
fantastique transition de l'orchestre, hululements de chouette, cris
d'oiseaux, coassements des rainettes, fait apparaître le jardin
éclairé par la pleine lune, lune de Colette, lune de Méliès.
Les
arbres dont les silhouettes noires se découpent sur le ciel
deviennent monstres et sorcières aux doigts crochus, cauchemar de
la fuite éperdue de Blanche Neige dans la forêt. Pour sortir d'un
mauvais rêve, il faut panser la plaie, étancher le sang.
Devenir sage ?
Photo © Patrice Nin |
Cécile Piovan est l'Enfant rebelle avec grande maîtrise, parfaite diction et aisance scénique face aux récriminations qui l'assaillent de toutes parts. Interventions imposantes du Fauteuil et de l'Arbre du maître de cérémonie, Jean-Philippe Lafont, étrangement moins intelligible que ses jeunes disciples. Christophe Larrieu dirige fosse (orchestre du CRR) et chanteurs avec une attention et une bienveillance palpables.
Il
faut rêver de l'impossible, et l'oser.
Théâtre du Capitole, 17 février 2013
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