Dans
l'introduction à sa mise en scène, Jonathan Miller commençait par
rappeler que Verdi et son librettiste Piave avaient été obligés,
eux, par la censure, de déplacer de la cour de François 1er
à celle du duc de Mantoue au XVIe siècle
l'action du drame de Hugo Le Roi s'amuse, qu'ils avaient
adapté. Il suggérait là, involontairement peut-être, une question
[…] : la transposition délibérée d'aujourd'hui n'aurait-elle pas
quelque rapport avec la transposition forcée d'hier ? Question qui
en a entraîné d'autres : les avantages de l'opération
l'emportent-ils sur ses inconvénients ? Quels sont les mérites et
les limites de la transposition d'un opéra comme Rigoletto ?
Une transposition satisfaisante est-elle possible et à quelles
conditions ? [1]
En
1982, Jonathan Miller avait situé l'action dans le milieu de la
mafia italienne à New York dans les années cinquante. En 1981,
Jean-Claude Auvray avait fait de même, mais dans les années trente
[1]. Au MET en 2013, Michael Mayer propose une intrigue dans les
années soixante à Las Vegas. Au fond, rien de si original ni
déplacé.
Il
y a cependant un problème essentiel. Quel sens une malédiction a
t-elle à cette époque ? Pourquoi cette malédiction est-elle
proférée par un cheikh arabe nommé... Monterone ? Pourquoi les
sous-titres sont-ils « adaptés » à ce qui se voit, et non à ce
qui se chante ? – on frise ainsi le grotesque, le vulgaire, le
racisme gratuit (Quel vecchio maledivami ! « traduit » par
Cet Arabe m'a maudit ! )
Le
Duc devient un chanteur de charme du Rat Pack, certainement – aussi
– lié à la mafia (donc pourquoi le cheikh, alors qu'un gangster
eût fait l'affaire). Le « Duc », un nom de scène, un nom de code
? Son tube est Questa o quella per me pari sono, chanté au
(faux) micro avec pin-up sortie d'un (faux) sarcophage égyptien et
trucs en plumes au vent. Rigoletto, qui porte (petite) bosse mais ne
boîte pas, est affublé d'un affreux gilet jacquard orange, Arlequin
de casino.
Les
incongruités n'empêchent pas les bonnes idées. Rigoletto se fait
aborder par Sparafucile, dernier client au comptoir d'un barman
fatigué, et qui a tout entendu de cette histoire de malédiction.
Rigoletto ne tient plus une échelle posée contre sa propre maison
pendant l'enlèvement de Gilda, mais est poussé dans un ascenseur à
cour, jumeau de celui de son immeuble à jardin. Gilda est emmenée
dans le sarcophage de la revue, son porte-respect (une vulgarité
trop maquillée, clope et chewing-gum) drogué et bâillonné.
Sparafucile tient une boîte de pole dance, où sa sœur danza...
è bella... Chi voglio attira..., se produit et attire les
hommes. Point de sac pour le corps de Gilda, mais le coffre d'une
Cadillac (immatriculée Nevada SPARFUC), pour aller le jeter dans
quelque ravin (voir la note d'intention de Michael Mayer)… donc
rempli d'eau All'onda ! All'onda ! ?
Bizarrement,
les chanteurs affirment à l'entracte que cette mise en scène ne
change rien à l'approche de leur personnage. Culottes courtes
bouffantes ou vestons à paillettes ne font donc pas le moine. On
perçoit cependant un certain malaise de Željko Lučić
(Rigoletto) monobloc dans l'émotion, comme détaché de
l'action, et qui rencontre quelques problèmes d'intonation – la
maledizione finale n'est pas la bonne. Il reste cependant une
alchimie palpable avec Diana Damrau, Gilda ingénue, qui note avec
l'excitation d'une petite fille le nom Gualtier Maldè dans son
journal intime rose avec serrure en cœur, avant un magnifique Caro
nome. Piotr Beczala campe un « Duc » insolent de facilité
vocale, sourire éclatant, très à l'aise avec la barre de pole
dance autour de laquelle s'enroulent tant de donne mobili. Si
la Maddalena de Oksana Volkova manque de présence charnelle et de
graves, le Sparafucile sinistre de Štefan Kokán
est impressionnant de noirceur et de souffle.
C'est dans la note
finale -cile dans l'extrême grave du Borgognone (ce
n'est pas la porte à côté, dit le sous-titre), tenue
longuement en coulisses, qu'est la véritable malédiction.
Inexorable, terrible, crédible.
Inexorable, terrible, crédible.
[1]
Arnaud Laster – Mérites et limites de la transposition : le cas
Rigoletto. L'Avant-scène opéra Rigoletto, n° 112-113,
2002
Photos
© Ken Howard
Metropolitan
Opera Live in HD, 16 février 2013
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