La
musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut [1]. Qui est le
moteur, la musique ou la danse ? Kader Belarbi ne tranche pas et
préfère s'attacher aux termes qu'elles ont en commun : le phrasé,
la suspension, la scansion, le rythme. Le rythme interne au
geste.
Qui
pratique la danse avec son ombre […] ressent intérieurement ce que
calligraphier peut signifier lorsque le corps se fait pinceau et
l'espace feuille : les instruments diffèrent, la vigueur demeure.
[2]
Ce
sont les calligraphies de Shi Tao qui ont inspiré Entrelacs à
Kader Belarbi. La scène est une toile en trois dimensions :
les danseuses sur pointes sont les poils du pinceau, les danseurs
le bambou. Les mains ne doivent pas être rigides, c'est un
trait sans fin. L'unique trait de pinceau est l'origine de
toutes choses, la racine de tous les phénomènes ; sa fonction est
manifeste pour l'esprit et cachée en l'homme, mais le vulgaire
l'ignore [3]. La musique de Arvo Pärt permet l'étirement du
temps, l'étirement des corps, la vie du mouvement dans l'air.
Changement
de rythme.
Dans
The Vertiginous Thrill of Exactitude, William Forsythe utilise
le vocabulaire classique dans la fulgurance du scherzo de la
neuvième symphonie de Schubert. Ce sont des pas académiques, avec
des associations particulières, des lignes qui vont plus loin,
des déhanchés, des décalages, une vitesse d'exécution
vertigineuse.
Malléabilité
et énergie.
Sur
la musique électro-acoustique de Ulrich Müller et Siegfried
Rössert, les corps façonnés par Jacopo Godani dans Anarchist
Unit Related to Art (A.U.R.A.) deviennent malléables ; les
danseurs se regardent, comptent. Des rythmes de corps. Une énergie
puissante. Des rythmes de souffle dans ce duo répété sans musique.
Le
sol glisse, une pirouette se déséquilibre, un ensemble n'est pas
ensemble. Ce sont les rayures et les ratures du travail en
cours, de la recherche de ces corps en haillons de tous les
jours, de ces visages concentrés sans fards ni faux cils, qui
halètent et ne sourient pas. Des artistes qui osent livrer la nudité
de l'effort, de la souffrance, de l'essoufflement, de la chose encore
imparfaite.
Le
futur spectateur est entré dans la cuisine. Il aura quelques
clés pour passer dans la salle et savourer l'aboutissement de la
patiente construction.
[1]
Molière, Le Bourgeois gentilhomme, Acte I, scène 2, Maître
à danser.
[2]
Cyrille J.-D. Javary, L'écrire étincelant. In [4].
[3]
Shi Tao. In [4]
[4]
Fabienne Verdier, L'Unique trait de pinceau, Albin Michel 2001
Saint-Pierre-des-Cuisines, 5 février 2013
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