dimanche 22 septembre 2019

Leçon magistrale au Pavé

Bruit de brosse derrière le canapé fatigué. Des draps à la propreté douteuse sèchent. La Bonne – Corinne Mariotto magnifiquement méconnaissable – fagotée, rougeaude, clope et cheveux gras, traîne ses étranges Converse bleues. Mais chaque détail est un indice. Elle fourre d'autres draps maculés de rouge dans la machine à laver crasseuse, qui tourne vraiment. Cycle de lavage, rinçage, essorage, cycle de blanchiment, pour pièce cyclique, récursive, sordide.

L'Élève – Margot Marquès, très juste dans l'évolution de son personnage – a certainement une jupe trop courte. Rien à craindre : le Professeur est un Professeur, et puis c'est un brave gars, timide, poli, bien propre, sauf, tiens ! une petite saleté sur son verre de montre. Comme ces grands pontes, ces gens haut placés, ou ces types sympas que personne ne signale. La Bonne met en garde mais reste complice, prostrée dans sa cuisine, le nez dans son mauvais ragoût.

Francis Azéma fait subtilement monter l'horreur, qui s'insinue subrepticement dans l'absurde. Car Ionesco a sous-titré La Leçon « drame comique » : comme l'Élève, le spectateur est manipulé, emmené sur le faux terrain du rire. Mais on ne rira plus du tout. Car la fin qui n'en est pas une, malgré, ici, un petit excès de gore et quelques coupures de texte, nous dit qu'il ne faut plus rester derrière nos rideaux de plastique opaque. Sinon la machine continuera ses cycles de lavage.

Théâtre du Pavé, 22 septembre 2019


dimanche 30 juin 2019

Werther : comme les colonnes, de marbre

C'est un décor décoratif, « un simple décor qui ne donne pas de sens, un espace vide » [1], où pas même les saisons ne passent. Werther ne trempera pas le bout de ses doigts dans cette fontaine et mourra dehors sous le plein soleil d'un Noël d'été alors que la musique dit le vent et les bourrasques de neige. C'est un coup de foudre sans foudre, sans sidération, sans trouble, sans fièvre, sans regards. Après trois mois, le couple Charlotte – Albert va à la messe bras dessus bras dessous – tout va très bien, et Sophie n'est point amoureuse. On donne le coffret d'armes au valet sans hésiter. Ce sont des chanteurs qui viennent à la face pour donner leur air. Et, de manière anecdotique, Werther ne porte pas de gilet jaune, vêtement sans doute devenu trop subversif.

Les yeux rivés sur le chef, Christian Tréguier, Luca Lombado et Francis Dudziak parviennent cependant à préserver des bribes de théâtre. Les enfants de la Maîtrise du Capitole, admirablement préparés par Alfonso Caiani, sont parfaitement justes musicalement et scéniquement. Florie Valiquette, dont nous avions apprécié la pétulance dans Le Postillon de Lonjumeau, paraît ici en retrait, tandis que l'Albert d'André Heyboer laisse peu affleurer jalousie et cynisme.

Cette Charlotte est-elle torturée par son dilemme ? Aucun geste, aucun regard ne le laisse croire. L'air des lettres est bien plat, et Karine Deshayes multiplie les variations de volume, donnant des aigus assourdissants qui balaient toute émotion. Ce Werther est-il dévoré par sa passion ? L'absence manifeste d'alchimie entre les deux protagonistes rend bien tiède l'étreinte du salon et bien plate l'agonie finale. Jean-François Borras a tous les moyens d'un grand Werther, mais il lui restera à en endosser le gilet.

Jean-François Verdier à la direction souligne de magnifiques passages solistes mais laisse parfois déferler la vague du tutti sur le plateau. Et il cède à la détestable habitude d'arrêter l'orchestre à la fin des stances d'Ossian, « N'achevez-pas » perdant tout son sens et son émotion après les applaudissements.

On était venue pour pleurer, on repart l'œil sec. « Les larmes qu'on ne pleure pas », est-ce vraiment Werther ?

[1] Susanna Mälkki - Réflexions sur l’opéra comme forme d’art atemporelle. 3rd Transnational Opera Studies Conference tosc@, Paris, juin 2019

Capitole, 23 juin 2019

dimanche 26 mai 2019

Mam'zelle Nitouche : de l'opéra dans le vaudeville-opérette


Ambiance festive d'un autre siècle dès le hall du Théâtre : un clown blanc harangue la foule, canotiers et cocardes égaient l'uniforme des ouvreurs. Devant le rideau qui annonce un spectacle révolutionnaire, un coq considère alternativement les spectateurs et l'entrave qui retient sa patte à jardin. Coïncidence ou intelligence de la situation, il lancera un superbe cocorico juste après l'accord de l'orchestre.

Pierre-André Weitz régit la mise en scène, les décors, costumes et maquillages et, armé de son balai, la scène de Pontarcy. On retrouve les marqueurs de l'esthétique du tandem Py-Weitz : le décor mobile, le théâtre côté coulisses, la table de maquillage, les enseignes d'hôtels, les ampoules électriques, la grande roue de néons, les travestissements et les garçons en slip. Mais point de masque de mort ici : l'affaire est légère ! Les nonnes relèvent leur bure, les soldats se dévergondent en tutu et Sainte Nitouche fait une irrésistible apparition mi-sulpicienne mi-Moulin-Rouge.

Un petit moment se passe avant de réaliser que c'est Miss Knife qui se cache sous le voile et derrière les lunettes épaisses de la Supérieure, très juste dans une exagération mesurée. Elle est également désopilante en Corinne, la vieille diva qui n'hésite pas, dans sa scène de jalousie, à convoquer Carmen, Dalila, Manon ou le Duc de Mantoue. Changeant complètement de registre, son alter ego Olivier Py joue et chante un Loriot mélancolique et attachant.

Aidés par le maintien des dialogues originaux, la troupe des comédiens-chanteurs ou des chanteurs-comédiens, admirablement dirigés scéniquement et musicalement (Christophe Grapperon) est remarquable de cohésion, chant et parlé d'égale qualité. La Denise de Lara Neumann mène le spectacle tambour (ou bugle) battant ; à ses côtés, Matthieu Lécroart compose un superbe Célestin / Floridor, Flannan Obé un Champlâtreux bien présent, Eddie Chignara un Major truculent et la Tourière de Sandrine Sutter ne se laisse pas écraser par l'inénarrable Supérieure. Et, autre irruption de l'opéra dans le vaudeville-opérette, le chœur des soldats, soudain, suspend le temps.

On sort du spectacle le sourire aux lèvres et la ritournelle dans la tête.

Capitole, 12 mai 2019

lundi 29 avril 2019

La Bête et la Belle : humaine animalité


Kader Belarbi propose une relecture subversive du conte, dans une reprise flamboyante du spectacle donné en 2013.

Alice traverse le miroir, la Belle traverse son armoire, doudous en avalanche. Le préféré de la Belle, c'est le rouge sang, balancé par-dessus le mur de passage.
Ce sont alors des centaures à croupes et queues devant, des grues étranges, des queues – de pies, de couleuvres, de cobras. Les symboles dansent sans masques.
Il y a là la Girafe, maquereau en costume mafieux flanqué de ses deux autruches, qui tente d'engluer la Belle dans ses longues pattes (belle performance de Jérémy Leydier en béquilles) ; le Cygne (élégant Rouslan Savdenov) et le Vautour (inquiétant Minoru Kaneko), robe fluide et redingote à dos de charogne, beauté et laideur, Eros et Thanatos que tire la Bête en fardeaux sur sa longue peau hirsute. Le Toroador (Philippe Solano, précis dans solo athlétique), rocker au cache-sexe pailleté, déboule sur une queue exhibée par l'armoire, violente la Belle. Autant de visages des instincts puissants, de l'animalité humaine. La Bête, très belle, torture son corps et son visage dans des contorsions, chocs et grimaces qui sont autant de plaintes, d'appels. Davit Galstyan donne corps, cris et souffle à une incarnation sidérante, violente et sensuelle, du désir. Natalia de Froberville lui répond en jeune fille curieuse, apeurée, puis déterminée, irrésistiblement attirée, changeant de chaussons et de langage chorégraphique pour grandir au fil des fantasmes de Belle.

L'armoire a son autre face, celle du vrai monde, avec ses conventions bien habillées et boutonnées jusqu'au cou. Ici les animaux obéissent à l'homme et doivent anéantir les Bêtes lorsque sonne l'hallali. Jusqu'à ce que la Belle décide de se dépouiller de ses oripeaux comme il faut et de se mettre nue, comme la Bête, pour une magnifique union charnelle dans la nasse rouge. Il n'y a plus ni humains ni animaux, seulement des corps. Sacre du printemps de la Belle, éclose au pied de son armoire. Elle n'a plus besoin de doudous, elle danse avec la défroque de la Bête, qu'elle finira par balancer par-dessus le mur. Femme et libre.

Capitole, 28 avril 2019

samedi 16 mars 2019

Ariane à Naxos : le vrai du fau(x)

D'emblée Michel Fau (mise en scène) et David Belugou (décors et costumes) précipitent le spectateur dans l'abyme de l'abyme des dessous : le maître de musique achève le bandage de la poitrine de l'interprète du Compositeur et l'aide à revêtir le travesti. Vrais personnages, faux artistes ? Tous les personnages en quête d'artistes deviendront eux-mêmes, bien sages sur leur chaise, spectateurs des frémissements du compositeur ému par l'Italienne. Vertiges...
Sur scène au-dessus des dessous, le majordome (Florian Carove) incrusté dans la devise Qui s'y frotte s'y pique (« y » : le mécène, la scène, l'opéra, les artistes... ?), formidable précieux ridicule et excessif, transmet ordres et revirements. Et c'est un festival de perruques gigantesques, de maquillages (Pascale Fau) exubérants, de mouches prétentieuses qui s'offusquent et prennent des poses baroques.

Gueule des Enfers ou gueule d'amour. Avec arbres et gardiens coléoptères. Pour l'Opéra, c'est un décor de tragédie lyrique, paysage morne et effrayant, mais qui malicieusement va s'encanailler avec pastilles lumineuses et guirlandes clignotantes alors que Zerbinetta égrène ses mille e tre amants consignés dans son leporello. Les nymphes, chœur antique au proscenium, passent et repassent, dévidant le fil d'Ariane, forcément rouge. Bacchus fait irruption en char à panthères d'or, machine en toc pour dieu antique. Et ce n'est pas la barque de Charon qui accompagne le duo final, mais un vaisseau, fantôme peut-être. On se demande cependant pourquoi un Hermès – fort beau et bien musclé – vient s'occuper des tailles des filles plutôt que de leurs âmes.

Le plateau dégage une véritable cohérence et une complicité évidente – confirmée par Anaïk Morel sur les ondes de Radio Classique le 5 mars. La troupe se crêpe le (gros) chignon avec virtuosité dans le Prologue, où l'on repère les très beaux maître de musique de Werner Van Mechelen et maître à danser de Manuel Nuñez Camelino. La ménagerie des bouffons (Scaramouche : Pierre-Emmanuel Roubet, Truffaldino : Yuri Kissin, Brighella : Antonio Figueroa) montre une belle homogénéité, et l'Arlequin coloré de Philippe-Nicolas Martin fait mouche. Leurs reflets sérieux, les nymphes Naïade (Caroline Jestaedt), Dryade (Sarah Laulan ) et Echo (Carolina Ullrich), filles du Rhin ou trois dames du fil, ne sont pas en reste.
Anaïk Morel se glisse aisément dans la veste de velours rouge et la perruque du Compositeur, passant avec subtilité du désespoir professionnel à l'espoir amoureux. Elizabeth Sutphen négocie avec brio les vocalises et le piquant de Zerbinetta, et on ne peut lui en vouloir de ne pas avoir la puissance de son double tragique. Catherine Hunold, qui fait ses début en Ariane, est fascinante : aigus puissants, graves profonds, irrésistible présence comico-tragique. Quant à Issachah Savage, il domine avec apparente facilité et plaisir manifeste l'impossible partition. Sous la direction extrêmement attentive d'Evan Rogister, chaque soliste de la petite formation de l'Orchestre flatte l'oreille de couleurs et nuances.

« Il faut ici qu'un mirage dans l'éclairage (obscurité partout, lumière magique venant d'en haut) transforme la scène miniature en une grande scène onirique – peut-être faire disparaître complètement les décors » [1]. Le décor en effet laisse place à un trompe-l'œil d'arches vacillant aux lumières. Nouveau vertige, est-ce la mort, est-ce l'amour ? Les nymphes reviennent avec leur fil rouge tout emmêlé. Illusion bien sûr ! Le compositeur enlève sa perruque : tout était vraiment faux.

[1] H. von Hoffmannsthal, 30 janvier 1912. Cité par B. Banoun – Le poète et le compositeur. In Ariane à Naxos, L'Avant-Scène Opéra n°282, sept-oct 2014

Capitole, 3 mars 2019

dimanche 24 février 2019

Il Primio Omicidio : mortel ennui


Lorsque l'on se donne rendez-vous au Palais-Garnier, il convient de ne plus dire « rendez-vous en haut du grand escalier », mais « rendez-vous entre les pneus ». Ce sont en effet deux pneus dorés, version neige – engin de chantier, qui accueillent le mélomane – le Fantôme s'en retourne dans sa loge.
À propos de loges, on constate l'absence de cloisons – qui a fait couler beaucoup d'encre, ainsi que l'absence de numéros sur les chaises et fauteuils, qu'aucun ouvreur (désagréable) ne vous aide à trouver ; l'un d'eux est bien trop occupé avec des gens importants dont il fourre rapidement le billet de pourboire dans sa poche.

Romeo Castellucci a marqué les esprits avec son Moses und Aron, donné en 2015 à l'opéra Bastille. On a aimé sa magnifique vision de Salome (festival de Salzbourg 2018). Mais on redoutait un fourvoiement à l'image de sa récente Flûte désenchantée bruxelloise. La déception fut à la hauteur des craintes.

Voilà encore une fois repris le changement radical de concept de mise en scène entre les deux parties du spectacle. Comme si l'idée était trop courte, trop ennuyeuse, pour être exploitée pendant un peu plus de deux heures. Ennuyeux, en effet. On bâille et on espère à chaque numéro que ce sera le dernier ou que le Fantôme fera tomber le lustre.

Avant le meurtre donc, « exercice préparatoire » (*), la petite famille originelle fait du Bob Wilson de patronage devant un écran opalescent derrière lequel un ballet de porteuses fait apparaître des aplats de couleurs, que le spectateur voit donc au travers du brouillard - « référence à l'expérience de la contemplation que nous connaissons face aux tableaux de Rothko » (*). En tout cas c'est incompréhensible et lassant.
Les costumes sont fort laids, robe quelconque pour Ève, sempiternel costume-cravate pour Adam, Dieu et Lucifer, vilain pantalon gris et chemise blanche pour Caïn et Abel.
L'agneau sacrifié ? « un sac en plastique rempli de gélatine écarlate ». Il sera accroché au retable de Martini qui « descend renversé sur scène, comme une guillotine. […] Cette image inversée apporte quelque chose : à défaut d'une explication, peut-être un sentiment d'erreur, de bouleversement existentiel. » Admettons.
Caïn et Abel vont alors chercher en coulisse chacun son fumigène, brut de fumigène avec fil électrique et interrupteur. La flamme (ou plutôt la fumée) d'Abel s'élève droite, celle de Caïn refuse de s'embraser – et pour cause : Dieu, traînant un sac en plastique vide (l'agneau vidé de son sang?) a – petit malin ! – posé sa veste sur la sortie de fumée (remarquons cependant que pour une fois, le fait d'enlever sa veste a une utilité).

Après l'entracte, ou l'on s'est convaincu de ne pas partir, place au « grand pré, peut-être le terrain de Caïn » (*). Là où il avait prévu de faire construire sa villa. Nuit étoilée au lointain. Au moins, c'est beau.
Au moment du meurtre, les chanteurs descendent en fosse, remplacés sur le plateau par leurs petits doubles : Caïn et Abel, mais aussi petite Ève, petit Adam, petit Dieu et petit Lucifer. Et c'est très étrange, voire dérangeant. Les enfants, au demeurant excellents comédiens, miment la gestuelle pseudo wilsonnienne ainsi que les articulations et les postures des chanteurs. Du play-back en somme, qui laisse dubitatif : perdus dans l'immense prairie, les gamins, grimés et costumés pour ressembler à leurs aînés, sont comme des marionnettes, des figurines Playmobil®. Les chanteurs relégués en fosse ont tendance à jouer aussi leur rôle, Lucifer en particulier se démène comme un diable à son pupitre. Qui le spectateur doit-il donc regarder ?

Fermer les yeux et écouter serait une option. Mais on manquerait la leçon destinée aux daltoniens : descend un panneau bleu marqué BLU, puis un panneau vert marqué VERDE. Ne pas chercher à comprendre. Et puis outre les passages de tempête et malgré les efforts de René Jacobs, musique et chant sont terriblement ennuyeux.
Et on atteint des sommets lorsque une gigantesque bâche de plastique blanc – la bâche en plastique, bruyante de préférence, est très tendance ces temps-ci sur scène – vient recouvrir les herbes et polluer la musique. Au fond, les pneus du grand escalier ne sont pas si mal.

(*) Le sacré, la violence, le jeu, entretien avec Romeo Castellucci. Programme de salle Il Primio Omicidio, opéra de Paris 2019.

Palais Garnier, Paris, 31 janvier 2019

dimanche 10 février 2019

Lucrezia Borgia : le flacon d'or pour madame


Tous sont en noir sauf la Borgia, bal à Venise en manteau blanc, souper à Ferrare en robe rouge. Les colliers Renaissance côtoient les lampes torches et le mobilier design. Murs ajourés et plafonds miroirs font les jeux des lumières et des espions en ombres. On apporte et on ajuste à vue juste ce qu'il faut pour changer de lieu avec fluidité, sans échapper à la gondole et son gondolier. Les lettres de B.O.R.G.I.A. sont cependant trop clinquantes et mobiles pour que la chute du B ait l'impact qu'on attendrait. Gennaro et Maffio ont grandi ensemble, partageant leurs jeux de construction ; ils semblent y jouer toujours, Gennaro très absorbé dans des calculs de structure ou des dessins techniques, Maffio plus turbulent et surtout plus entreprenant – un baiser bien appuyé agrémente le génie civil. Mais pourquoi donc la petite ville décolle-t-elle du sol ?

Si l'esthétique flatte l’œil, les interactions entre personnages sont peu marquées à Venise. Il faut attendre la scène du couple au palais ducal pour que les corps s'engagent, parfois artificiellement, mais créant une tension palpable. La confrontation laisse d'ailleurs cois les nombreux tousseurs.

Les artistes du chœur sont comme toujours excellents et on doit saluer l'excellent Astolfo de Laurent Labarbe. Parmi les autres seconds rôles, c'est le Gubetta de Julien Véronèse qui se distingue. Éléonore Pancrazi, en retrait en début d’œuvre, parvient à s'affirmer ensuite en Maffio exalté et sensuel, même si la projection et les graves restent limitésmais Giacomo Sagripanti veille avec attention à l'équilibre entre plateau et orchestre.
La voix de basse et la présence scénique d'Andreas Bauer Kanabas dessinent un duc de Ferrare animal, fin manipulateur sans noirceur forcée. Mert Süngü en Gennaro exagère en revanche les effets étouffants du poison et donne çà et là quelques notes disgracieuses.
L'entrée en scène d'Annick Massis s'accompagne de quelques craintes : l'artiste est prudente, la technique est visible, les respirations bruyantes. Mais au fil de la représentation, la voix retrouve une fraîcheur et une agilité exceptionnelles ; la dernière lamentation, les trilles impeccables, les aigus filés, les superbes graves, émeuvent aux larmes. Le plafond vient écraser la Lucrezia effondrée sur le corps de son fils, qui ne boira pas le poison à son tour, mais mérite assurément un flacon d'or.

Capitole, 27 janvier 2019