samedi 24 décembre 2016

Candide : car tout est bien !

Voltaire quitte son voltaire pour saluer la cour à cour. Aurait-il vraiment salué la cour ?

La mystérieuse arche du Concert de Noël n’appartenait donc pas au toit de quelque crèche, mais à ce hangar à étage, à praticables, à estrades, qui fait le tour du monde en une unité de lieu. Trois fois rien évoquent presque tout :  toiles voiles, barrique barque, tréteaux bateaux, ficelles flots, lustre lucre. La neige tombe métaphoriquement. Le séisme fait choir de très fausses pierres et l’anabaptiste se noie dans les dessous. L’énorme baronne est suspendue à sa perruque ; un grand guitariste joue d’une petite guitare et réciproquement. Les moutons rouges, en panier de laine, tricotent. 



Les beaux masques se vautrent dans le fric et la luxure.  De sa main valide, un cadavre remercie qu’on lui remette son bras coupé. Les morts ici ou là sont les mêmes, ils ne sont simplement pas du même côté. Et, parité oblige chez les fripouilles, Vanderdendur est une femme.

C’est drôle mais surtout, grinçant. Car il s’agit bien, comme en 1759, comme en 1956, de dénoncer sous le rire : guerres, massacres, exécutions extrajudiciaires, religions alibis, catastrophes naturelles, ploutocratie, pseudo-science, machisme ordinaire...






James Lowe mène allègrement orchestre et plateau et prenant bien soin de laisser leur place aux jeunes voix. Si le Candide d’Andrew Stenson manque un peu de projection, Ashley Emerson (Cunégonde) négocie jusqu’au cri le très attendu Glitter and be gay. Marietta Simpson fait une truculente vieille monopyge. Et on remarque le beau baryton de Matthew Scollin, particulièrement séduisant dans le rôle de Martin.





Excellent conteur, et logiquement plus modeste chanteur, Wynn Harmon passe de Voltaire à Pangloss par le truchement d’une robe de chambre et de lunettes (car les nez ont été faits...) Jusqu’aux plus petits rôles, la troupe est parfaitement homogène et les artistes du chœur du Capitole s’y fondent en s’en donnant à cœur joie. Et on imagine l’intense travail des habilleuses en coulisses, les changements étant fréquents et rapides.




Musique, chant, danse, costumes, humour... un vrai spectacle de fêtes ? Oui, mais pas seulement. Chacun y lira ce qu’il veut selon qu’il est ou non... optimiste.

Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 22 décembre 2016

lundi 19 décembre 2016

Espæce : décor et des corps

Ils lisent devant un décor qui n’en est pas un, mur gris seulement percé de deux sorties de secours. Ils lisent parce que le mur a affiché « lire ». Ils cherchent dans leur livre parce que le mur a affiché « lire la phrase la plus importante ». Puis ils écrivent au mur, mot à mot, chaque livre devenant une lettre d’une phrase d’un livre.

 

© Victor Tonelli




Corps lisant, corps chantant... décor mouvant. Un peu à cour, un peu à jardin, le mur se meut, entraînant le déséquilibre des corps. Mur décor qui s’approche du quatrième mur, dévorant les corps. Il faudra repousser le mur, décor à corps.

 









Alors le décor prends corps, à leur corps défendant. Décor acteur parmi les
© Christophe Raynaud de Lage
corps figés des acteurs devenus décors. Il tourne sur lui-même, se plie, se déplie, se déploie, se replie. Crée une faille qu’un corps explore ; on redoute la chute du corps. Crée une faille qui se referme sur un corps qui va aller dans le décor. Disparaître.

 






©Christophe Raynaud de Lage






Et l’envers du décor devient décor. L’envers du mur est un mur d’escalade. Ou une bibliothèque remplie de livres blancs. Un livre tombe. Un imprévu livre vivant. Livre qui plie les corps à sa guise, sens dessus dessous.
Et le décor tourne sans fin comme tournaient les portes du château de Barbe-Bleue.

 



Angoisse de la toile blanche, des lampes lucioles inquiétantes du Prisonnier. Celles-ci laissent les traces fluorescentes, rais de vie, vies bientôt rayées.

Il n’y a plus de corps, devenus sans objet. Juste un robot à écrire. Un robot à faire apparaître des E. Errer, écrire, réécrire. Cri... du corps.

TNT, 14 décembre 2016