lundi 12 août 2013

Café Tango : avec la voix, avec le coeur


« Le tango, comme le flamenco, fait partie de Toulouse », dit Alain Lacroix. Hommage à Toulouse, hommage à Nougaro, Omar Hasan offre le Tango pour Claude en ouverture. Vie violence. Garonne mugit sur la chaussée du Bazacle. L'orage menace au loin.
Mais Omar Hasan a conservé quelques sortilèges de son Horloge : sa voix solaire, dans l'abrazo du violoncelle énergique de Marie-Françoise Mercier et de l'accordéon plaintif de Grégory Daltin, fait taire le tonnerre dès le second tango.



Heureux de donner pour la première fois son Café Tango avec l'Orchestre de chambre, en équipe avec Gilles Colliard comme naguère à quinze dans « une autre carrière qui n'était pas tout à fait ça », il déclare son amour à Buenos Aires (Mi Buenos Aires querido - Carlos Gardel), offre le dernier café, désabusé, à l'aimée qui s'éloigne (El Ultimo Café - Catullo Castillo), parie sur les chevaux comme sur les femmes, en perdant toujours (Por una cabeza - Carlos Gardel). La valse de colère Amor de mis amores réjouit la Foule. Il y a des larmes salées, des cafés de l'oubli, des cigarettes solitaires, des cœurs brisés. Et comme le voyageur de Schubert qui reviendrait vers ce premier amour bafoué, un retour improbable le front marqué [d]es neiges du temps [1] (Volver – Carlos Gardel). Quelqu'un cherche, plein d'espérances, / Le chemin que ses rêves / Ont promis à son désir... [1] (Uno – Enrique Santos Discépolo, Mariano Mores). Omar Hasan joue les sentiments autant qu'il les chante, tour à tour abattu, violent, résigné.
Mais il y a l'espoir aussi : comme l'hirondelle à laquelle il « ne ressemble pas », le voyageur a posé ses ailes à Toulouse, à la recherche du bonheur (Golondrinas – Carlos Gardel).
Le tube Granada permet au chanteur d'imposer sa voix lyrique. Belles notes tenues et projection puissante, il torée de sa doublure de veste rouge les insectes de nuit qui dansent dans le faisceau des projecteurs.

En bis, Omar Hasan récite puis danse avec ce « fou sympa » de la Balada para un loco (Horacio Ferrer, Astor Piazzolla). « On est tous un peu fous, mais certains plus que d'autres. » Enfin, tombant la veste, c'est le Tango corse, note d'humour potache pour terminer dans la légèreté une soirée donnée de corazón.



Un bémol pour vite l'oublier : une sonorisation trop forte et sans nuances qui tend à brouiller parfois voix, solistes instrumentaux et orchestre dans un certain fatras sonore.

[1] Traductions de Fabrice Hatem

Photos © C. Tessier

Festival Toulouse d'été, Jardin Raymond-VI, 8 août 2013

jeudi 1 août 2013

Béjart Ballet Lausanne – Carcassonne : amours sublimées


Bhakti III (Maurice Béjart 1968)
Étude pour une dame aux Camélias (Maurice Béjart 2001)
Là où sont les oiseaux (Gil Roman 2011)
Le Sacre du printemps (Maurice Béjart 1959)

© R. Garcia

Dans la nuit tombante du théâtre Jean-Deschamps , Gil Roman abandonne cigarette nerveuse et téléphone, monte en régie ; le rouge se fait. Shiva, troisième personne de la Trinité hindoue (Brahma, Vishnou, Shiva)
 Dieu de la Destruction (qui est surtout la destruction de l’illusion, de la personnalité). Dieu de la Danse. Son épouse, Shakti, n’est autre que son énergie vitale qui émane de lui et retourne en lui, immobile et pourtant éternellement en mouvement. [1]
Ce sont deux corps qui n'en font qu'un, entrelacs de bras et jambes, géométrie parfaite, poses sculpturales défiant les lois de la physique. Ce n'est que lorsque Shakti et Shiva dansent seuls, l'un privé momentanément de l'autre, que l'équilibre devient fragile, perturbant quelques pirouettes. Qu'auraient dit les yeux bleus perçants du Maître ?




Elle était ma DAME et je l’ai rêvée comme une fleur « Un Camélia » !
 Je vais mourir, mais
© Doron Chmiel
elle, je veux pas qu’elle meure.
 Rêve, Ombres, Imagination, femme idéale, je la cherche et je mourrai en la cherchant, elle qui peut être va mourir aussi bientôt !
Ma Dame… aux camélias. [2]
Marguerite, Violetta, la dame est une fleur que les hommes effeuillent. Le temps passe vite, implacablement martelé. Elisabet Ros, hagarde, va d'un jeune homme en noir à un autre, quémande un baiser, une caresse, avant qu'il ne soit trop tard. Sous le masque de la tendresse d'un instant, la mâle violence la rejette, la dépouille de ses voiles, un à un. Les illusions tombent comme les vêtements arrachés, elle se retrouve nue. Restée seule, elle danse, souriant aux étoiles, magnifique, avec Chopin pour unique partenaire. Elle se réfugie parfois entre les bras de son fauteuil rouge. La dame au fauteuil. Espérance vaine. La Callas chante Adriana Lecouvreur, morte d'avoir respiré le parfum de fleurs empoisonnées. La dame va mourir bientôt, la dame est morte.
Ovation à hauteur de l'émotion donnée corps, âme et regards par cette immense danseuse.






Alors que je préparais cette tournée en Chine, j’eus le plaisir de recevoir à Lausanne, dans nos studios, M. Chen Shenglai. À cette occasion, il me remit un texte qu’il avait écrit : « Le charme de la vie ». En écho à ce poème, des images, des idées ont surgi : vie – mort – re-naissance – cycle – Ying-Yang – équilibre. Et tout à coup, une lumière… Marta Pan.
Cette immense artiste sculpteur, que j’avais eu la joie de rencontrer et dont les œuvres sont aujourd’hui exposées dans le monde entier, fut une amie proche de Maurice Béjart. Ils collaborèrent à diverses reprises, entre autres en 1959, lorsque Marta Pan réalisa « Équilibre », qui inspira à Maurice Béjart la création d’un ballet éponyme, dans, autour et avec la sculpture. De ce ballet, excepté cette sculpture, il ne reste rien, aucune trace de chorégraphie.
Je me mis donc à travailler à partir du texte de Chen Shenglai et de l’œuvre de Marta Pan. […] Un studio, des danseurs et de la musique

Marta, Maurice

Naissance… [3]
Marta Pan - Equilibre, model for a ballet
C'est un ballet difficile à appréhender, ballet de vie, ballet de mort, ballet d'ombres et de lumière, ballet de vaine quête. D'humour et de tragique. De couleurs. D'esthétique. D'oiseaux qui vivent et meurent. Le héros, Parsifal ou Faust, va toujours plus haut, pour finalement rencontrer son double, lui enfant, né de la matrice rouge qu'est la sculpture de Marta Pan. Mêmes tignasses brunes bouclées, Oscar Chacon et Cosima Munoz dansent l'incessant renouveau de la vie, l'expérience grave et l'innocence malicieuse.

Que ce ballet soit donc, dépouillé de tous les artifices du pittoresque, l’Hymne à cette union de l’Homme et de la Femme au plus profond de leur chair, union du ciel et de la terre, danse de vie ou de mort, éternelle comme le printemps ! [4]
On l'a vu et revu sur quelque écran. Voir le Sacre de Béjart sur scène est une expérience envoûtante, haletante, obsédante. La musique sauvage. La scansion des corps, leur énergie animale. L'absolue perfection des ensembles. L'amour physique sublimé.

Kateryna Shalkina et Oscar Chacon en répétition © Site du Béjart Ballet Lausanne

Kateryna Shalkina (l'élue) et Oscar Chacon (l'élu) transcendent la danse. Jusqu'à cet extraordinaire bouquet final que l'on a vu cent fois, mais que l'on vit pour la première fois. Sidération.

En fidèle héritier du Maître, Gil Roman vient saluer avec sa compagnie dans de joyeuses remontées de scène, et applaudit généreusement le public. Qui regrettera juste l'absence cruelle d'un programme de salle !

[1] Bhakti, synopsis, site du Béjart Ballet Lausanne
[2] Maurice Béjart,
 décembre 2001
[3] Gil Roman, 2011
[4] Maurice Béjart, 1959

Festival de Carcassonne, 12 juillet 2013