dimanche 4 novembre 2012

Otello : le terrible jeu du mouchoir


Jago est peut-être le plus mauvais des mauvais garçons de l'opéra . Quelque dix-neuf ans plus tard, Arrigo Boito en fait le fils spirituel de son Mefistofele (1868) : le Credo de Jago à l'acte II d'Otello, dont les vers et sentiments [sont] imputables seulement à Boito [1] est un écho maléfique au Sono lo spirito che nega du diable se présentant à Faust. Rido e avvento questa sillaba « No » lance Méphisto. « No ! » crie Jago en ultime défi avant sa fuite.
Que l'arme soit un mouchoir ou un éventail, on se cite entre mauvais garçons : Per riddure un geloso alla sbaraglio / Jago ebbe un fazzoletto... ed io un ventaglio !... (Scarpia, Tosca), et on se délecte de l'effet du poison de la jalousie : Già il veleno l'ha rosa ! […] Morde il veleno ! (Scarpia) ; Il mio velen lavora (Jago).
(Photo : Mary Altaffer)






Dominant le monde de sa silhouette noire dès la tempête de l'acte I, instillant son venin sans jamais regarder ses victimes en face, Falk Struckmann incarne à la perfection la manipulation et la perversité. Beaucoup plus à son aise vocalement qu'en Scarpia aux Chorégies d'Orange (2010) , il retrouve son legato – toujours avec cette étrange façon de projeter la voix les lèvres rentrées.









Johan Botha faisait son retour en Otello après trois représentations manquées pour cause de maladie. Malgré un certain vibrato, la voix est belle et assurée, mais l'interprète est autant dévoré par le stress que le personnage par la jalousie. On va lui faire rouler les yeux, se tordre par terre : c'est Otello grotesque [2]. Otello roule des yeux et Johan lance de fréquents et inquiets coups d'œil au chef d'orchestre. Et on ne peut réprimer un sourire à la vue de cette silhouette massive qui, après s'être poignardée, s'assied prudemment avant de s'écrouler.

(Photo : Antony Tomassini)
Le magnifique prélude aux bois de l'acte IV annonce la Chanson du saule et l'Ave Maria que Renée Fleming sublime. Comment elle parvient ensuite à chanter ses derniers mots après avoir chu à plat dos dans les escaliers du lit (sans s'y être assise préalablement...) reste un secret de grande professionnelle.






Michael Fabiano, tant physiquement que vocalement, est un Cassio solaire, qui a tout pour rendre vraie cette histoire d'adultère. Mais seul l'infâme Jago mène le terrible jeu du mouchoir.

(Photo : Ken Howard)


[1] Kobbé - Tout l'opéra, Bouquins 2008
[2] Catherine Clément - L'opéra ou la défaite des femmes, Figures Grasset 1995

Metropolitan Opera, Live in HD,  27 octobre 2012

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