lundi 30 décembre 2013

Hänsel et Gretel : les sortilèges et les enfants


Les enfants s'inventent des histoires, font vivre nounours et poupées, jouent aux marionnettes avec leurs doudous derrière le drap de leur lit. Les parents leur lisent des contes terrifiants, s'amusent à leur faire peur, pour mieux les faire grandir. Les enfants font des rêves et la réalité devient fantasmagorie.
C'est un rêve dans un rêve, un rêve dans un conte, un conte dans un rêve. Avec une grande pertinence, Andreas Baesler joue avec les mises en abime et gomme les frontières entre ce qui est et ce qui s'imagine.
Car il faut s'évader de cette vie : le marché du balai a du plomb dans le manche, le livre de comptes est dans le rouge, le père boit, la mère abusive sévit par le gourdin, la gouvernante boiteuse est laide et revêche, il n'y a rien à manger. Meubles, tapis, bijoux et tableaux sont saisis, portraits de Richard W. et de Cosima, horloge des sortilèges. Restent le fauteuil, le Pleyel, le sapin de Noël, le lit à étage des petits et le grand poêle, des ingrédients pour d'autres sortilèges.


Les enfants endormis font un rêve. Le marché du balai a subitement repris, le père éméché rentre à la maison avec lard, galettes et maisonnette en gâteau. S'assoit dans le fauteuil et prend le grand livre de contes, là seulement où existent les sorcières. Quoique... Le praxinoscope les fait voler de jardin à cour, se multiplier, folle chevauchée aux accents, parfois, de celle des Walkyries.
Alors les boules de Noël deviennent fraises, le sapin se multiplie en forêt, poupée, nounours et doudous-marionnettes grandissent et s'animent, le coucou du salon devient coucou des bois. Depuis la coulisse, l'écho des voix d'enfants répond à la peur, étrange, aérien, magnifique. Par un très beau mouvement du décor (Harald Thor), le plafond se soulève, les murs s'écartent, l'espace clos et pesant du salon s'ouvre sur l'imaginaire ; le Marchand de sable – marionnette passe, la poupée prépare le lit, le nounours d'un geste magique fait se fermer les rideaux. Les enfants rêvent dans leur rêve sous la protection des quatorze anges, revenants blancs effrayants et bienveillants, superbe pantomime d'ancêtres de toutes époques en hennin, crinoline, haut-de-chausses, haut-de-forme ou perruques, qui s'évanouissent en laissant une plume de chapeau – ou d'ange.
La sorcière du praxinoscope se réjouit d'avance et fait des loopings sur son balai. Le Bonhomme Rosée est un cerf-volant gracieux manipulé par la poupée et le nounours. Mais le rêve se mue en cauchemar : pied bot, nez crochu, yeux de serpent, ressemblant étrangement à la gouvernante, la sorcière ogresse surgit dans des lumières verdâtres. Alors le lit devient cage, le gourdin de la mère bâton maléfique, le poêle four à enfants. Four à sorcière. Four qui explose. L'apparition des enfants-gâteaux endormis, qui émergent peu à peu dans la brume-fumée de la forêt, est saisissante.

Claus Peter Flor, dans le même temps extrêmement attentif au plateau, donne à l'orchestre de magnifiques couleurs. Jean-Philippe Lafont et Diana Montague font un couple de bourgeois très crédibles dans leur déconfiture, même si le vibrato de l'un et les aigus métalliques de l'autre révèlent l'usure du temps. Khatouna Gadelia enchante en Marchand de sable et en Bonhomme rosée, celui-ci incarné avec mérite en suspension dans les airs. Ses deux acolytes, petite poupée et petit nounours, sont confondants de naturel dans chacun de leurs gestes. Jeannette Fischer brûle les planches avec son balai, qu'elle chevauche avec délectation. Distillant l'effroi et l'humour – même le fauteuil recule vers la coulisse, la chanteuse ne cède rien à l'actrice, précise dans les aigus, juste dans le nez (de sorcière), et se jouant de l'amplification des formules magiques.



Scéniquement parfaites, naturelles dans leur alchimie, Silvia de La Muela et Vannina Santoni forment un couple frère-sœur idéal, dont la complémentarité vocale émeut profondément dans leur magnifique Laissez-nous prier à genoux. Vannina Santoni, qu'elle retrouve sa voix d'enfant pour le lied Au bois un petit homme, ou qu'elle montre ses talents de colorature pour les Tirelireli, est remarquable. La toute jeune Maîtrise, préparée avec grande précision par Alfonso Caiani, ravit par ses interventions, admirable écho de coulisse, voix très douce des enfants-gâteaux, enthousiasme de la liberté retrouvée.

Le décor s'est refermé sur la réalité, le père brandit le livre de contes, les enfants poussent un cri et s'enfuient. Des sortilèges, des enfants, des rêves, un enchantement.

Théâtre du Capitole, représentations des 24, 27 et 29 décembre 2013

Photos © Patrice Nin

2 commentaires:

  1. Certes, la mise en scène est habile, sophistiquée, mais cette sophistication, cette "mise en abyme" ne nuit-elle pas
    à la magie première du conte, largement réinterprété ?
    Ou alors il ne s'agit plus vraiment d'un spectacle pour enfants, mais d'un conte pour adultes, et encore à condition,
    pour l'apprécier pleinement, de bénéficier d'une "explication de texte - ou plutôt de mise en scène" préalable ?

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    1. je n'ai pas vu cette sophistication, mais au contraire une esthétique sublime et très claire, un parti pris trop consensuel à mon goût : la sorcière n'a rien d'effrayant !

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