samedi 15 février 2014

La Favorite : un ténor et une valise








Vincent Boussard et son décorateur Vincent Lemaire travaillent sur l'épure : les arches en fond de scène, qui se multiplient à jardin dans un miroir, sont cloître ou palais. Un rideau de perles moucharabieh dissimule les courtisans prompts à médire. Cependant la vue au-delà des arcades présente de curieuses taches noires et les accessoires ont tendance à sortir de l'épure : chaises fuchsia, paons posés, en vol, portés, et la valise lumineuse. Mais pourquoi donc Fernand a-t-il une valise, de surcroît lumineuse ? Que contient-elle ? Sa vie temporelle, sa vie spirituelle ? Son feu intérieur ? Sa lampe torche ?













Le hakama et le sweat-shirt à capuche font la bure et le moine tandis que le courtisan arbore longue tunique, perfecto et demi-fraise. Les dames sont des mannequins de couture noirs sur lesquels sont drapés, jetés, empilés ou fagotés taffetas et plis savants, robes inachevées sculptées par les lumières (Guido Levi).



Étranges mouvements des ensembles : ballet des moines au couvent de Saint-Jacques, qui passent alternativement du fond de scène au bord de fosse ; les jeunes filles de l'Île de Léon s'assoient et se lèvent ; la cour piétine avant de trouver le bon pied pour quitter en cortège la salle du palais de l'Alcazar. En revanche le billet intercepté circule de main en main comme le ragot qu'on propage, avec dédain et gourmandise.



Antonello Allemandi a soin d'équilibrer orchestre et plateau, sauf dans la scène de l'anathème, où le chaos devient cacophonie des voix solistes poussées à l'extrême, malaise exacerbé par ce baiser forcé du roi à sa favorite, ce combat au sol, presque un viol.
Giovanni Furlanetto n'impose qu'une autorité discrète en Balthazar, plus à son aise en père protecteur qu'en porteur de la terrible bulle papale. La Léonor de Kate Aldrich donne les beaux graves qui siéent aux femmes sulfureuses, mais aussi quelques aigus plus métalliques qu'angéliques. Le roi de Ludovic Tézier est royal, sauf lorsqu'il doit passer au-dessus de la cour et de l'orchestre offusqués. La révélation de la production est Yijie Shi qui presque au pied levé troque les habits modestes de Don Gaspar pour la valise de Fernand. Dès son air d'entrée À l'autel que saint Jacques protège, l'émotion, intense, submerge : diction française parfaite, merveilleux phrasés, présence sensible, et nul besoin apparent du souffleur qui doit s'ennuyer dans son trou.






Au couvent de Saint-Jacques, le faux novice Léonor, les pieds meurtris, a quitté les robes blanches pour le rouge et le noir. Christian Lacroix l'engonce dans une camisole en forme de cercueil, la tête entièrement enfermée dans une voilette cage. Elle s'en extirpera adroitement pour quitter la scène par l'escalier du fond, laissant un Fernand désespéré avec un texte devenu incohérent (Rouvre les yeux, c'est moi...) et sa valise désormais rangée – et éteinte – pour toujours.



Photos © Patrice Nin

Théâtre du Capitole, 9 février 2014.

1 commentaire:

  1. une mise en scène tellement épurée qu'elle perd tout sens et devient incompréhensible ... dommage, la distribution était si exceptionnelle. Dommage aussi que le chef fasse trop de bruit : Tézier en perdait ses couleurs !

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