samedi 19 juillet 2014

La Traviata : les masques de la mort noire



« Ce qu'il faut voir, c'est ce qu'on écoute » [1]

« Elle est malade » [1]. Le médecin, séduisant, attentionné, légèrement inquiet, est toujours présent. Peut-être amoureux aussi – la vie privée peut-elle être totalement étrangère à la vie sur scène ?


Olympia descendue de son tableau, Violetta a un lit démesuré – « son instrument de travail » [1], une coiffeuse, une camériste noire. Sempre libera – je dois, toujours libre, folâtrer de joie en joie. Drôle de liberté qui doit. Et la mort rôde déjà au seuil de la chambre. Fêtards, hommes et femmes, sont des croque-morts immobiles, bras croisés, corbeaux attendant leur proie qui fait semblant dans l'indiscret rouge. Un brindisi funèbre. Libiamo. Ils ne bougent pas.


Arbre avec feuilles à jardin, noir à cour. Changement de plan, les invités font tapisserie dans l'escalier de Flora, toujours noirs, masqués, effrayants, menaçants. Rien que le noir, au-delà des feux de la rampe, et des silhouettes qui [la] prenaient sans s'éprendre [2]. De la terrible immobilité émergent des garçons gitanes, une cuadrilla de filles, un toro de pacotille, le grotesque en sang et or.
Et quand la mort vient, c'est dans la chambre fantôme où on a installé un pauvre lit d'hôpital. Le miroir de la coiffeuse a disparu sous un drap mortuaire, l'Olympia a été décrochée et retournée, le matelas de plaisir roulé et ficelé. Du fond de scène viennent les échos noirs que font entendre les masques en Carnaval [2].

Benoît Jacquot filme sa mise en scène au plus près des gouttes de sueur et des pinces qui se détachent du chignon et – étrangement – ose ça et là un plan tremblé de téléphone portable par-dessus l'épaule dénudée d'une spectatrice du parterre.




Diana Damrau n'a pas la fragilité de Natalie Dessay et semble exagérer certains effets, frisant l'hystérie. Mais la voix est facile et domine celle de Francesco Demuro, qui force son Alfredo jusqu'à la limite de justesse. C'est le Giorgio Germont de Ludovic Tézier – autorité naturelle et visage magnifiquement expressif – qui porte l'émotion au sublime avec un somptueux duo et un Di Provenza il mar, il suol  qui fait frissonner. Le rôle mineur – cependant souligné par la mise en scène – du docteur Grenvil, est luxueusement interprété par Nicolas Testé.



L'Addio del passato est poignant. Le médecin, la camériste, Germont père, tournent le dos à la mort qui s'approche. Un léger strabisme de Diana Damrau, défaite, hagarde, ajoute au réalisme. Gros plan final sur sa main inerte.

[1] Benoît Jacquot, entretien avec Alain Duault
[2] Michel Schneider – Voix du désir, Eros et opéra. Buchet – Chastel 2013.

Photos © Opéra National de Paris / Elisa Haberer

En direct de l'Opéra Bastille, 17 juin 2014 

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