Le rideau s'ouvre sur les
lumières vacillantes de bougies de théâtre baroque, non pas à l'avant-scène
mais dérivant sur les eaux d'une Carthage en usine délabrée,
bassin de Neptune décadent où la pyrotechnie annoncera les grandes
eaux de l'orage destructeur.
Un homme étrange
apparaît, pêche brutalement les bougies à l'épuisette : la
lumière s'épuise, les civilisations aussi, il n'en reste que les
vestiges. Cet homme porte un hélicon sur son dos, double d'Enée
portant Anchise, la raison, le destin tracé. C'est ce double,
télécommandé par l'Esprit tel un robot, qui intimera à Enée
d'aller fonder Rome plutôt que de dilapider son temps dans les
délices de l'amour. Fate forbids what you pursue.
Si le double d'Enée est
son Surmoi, celui de Didon est son Ça, pulsions et interdits sous
l'apparence d'une femme blonde à la séduction outrancière. Les
deux doubles s'accoupleront lors de la partie de chasse, dans
l'euphorie générale... vanité ! le conflit fondamental est
insoluble.
Le chœur est divisé en
deux hemichoria, celui des chanteurs et celui des musiciens, menés
par le coryphée – chef d'orchestre, témoin attentif, engagé
par le geste et l'attitude dans le drame qui se déroule sous ses
yeux.
Harmonie des instruments.
Plaintes et grincements aux accords. Vouloir et ne pas vouloir,
choisir donc renoncer....

La beauté du jeune
baryton – Enée n'est pas fils d'Aphrodite pour rien – est
magnifiée par son grand cache-poussière noir. Emergeant du
brouillard, il est l'Amour. Belinda, tout droit sortie d'un
shôjo manga, l'exhorte en sautillant joyeusement - Pursue thy
conquest Love! Le cache-poussière va fissurer l'armure de Didon.
Des regards magnifiques. Mais l'amour hypnotise, aveugle, projecteur
braqué par Enée dans les yeux de Didon.
Aveuglement... l'amour
est vite trahi – ce n'est pas tout ça, il faut aller fonder Rome
! L'homme cède facilement aux sirènes, aux sorcières, aux esprits.
Away, away! implacable de Didon. Départ d'Enée en funambule mal assuré, le cache-poussière n'en mène pas large.
Away, away! implacable de Didon. Départ d'Enée en funambule mal assuré, le cache-poussière n'en mène pas large.
La
femme s'en repentira, prise de conscience, remords, regards, terribles.
Trop tard.
Didon, dans son ultime
lamento, voix et corps émouvants, est submergée par ses larmes -
les eaux de Carthage ne sont plus que larmes - et emportée par ce
même brouillard duquel avait émergé Enée. Remember
me, but forget my fate.
L'amour a brouillé les pistes tracées.
Perpignan, théâtre de l'Archipel, 10 février 2012.
Sous la direction musicale de Jean-Marie Puissant, et interprétée par une équipe talentueuse de chanteurs, danseurs et comédiens dans un immense bassin d'eau maculée, l'oeuvre de Purcell, revisitée par Chabroullet et le Théâtre de la Mezzanine devient un opéra d'une grande force érotique.
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