Quel
est ce majordome à la fois attentionné et inquiétant, ce régisseur
qui veille à la qualité des chaussures, à la distribution des
bouchons d'oreilles, au fonctionnement des voitures, et à l'occasion
pratique le chantage ? Quelque diable manipulateur qui habite les
dessous, chambre noire où il révèle des photographies de scène
fausses et ridicules prises au feu infernal du magnésium. Quelque
ange de la mort qui arrange les brassées de fleurs comme sur autant
de tombes, brûle les accessoires et prendra la dernière image.
Le
public n'est pas cette assemblée de petits bonshommes naïvement
dessinés et souriant béatement. Les hommes en frac du cercle de
bienfaisance viennent applaudir hypocritement ce qu'ils n'ont pas
entendu. Les autres font semblant. Marguerite est riche. Très riche.
Marguerite est malheureuse. Mari absent, mari ailleurs. Marguerite
est seule. En tête à tête avec un masque trompeur de Commedia
dell' arte. Alors Marguerite chante. Faux. Alors Marguerite pose.
En Brünnhilde, en Salomé, en Carmen. Marguerite veut exister, être
aimée. Parmi les bibelots et les animaux empaillés, dans un monde
de mensonge et d'hypocrisie, elle est vraie dans son chant faux que
seul approuve le paon Caruso.
Le
jeune dandy dada qui se prend déjà pour Dali avec son faux accent
espagnol adore ! C'est qu'elle est aussi un peu dada
Marguerite, qui ne mange que du blanc et se demande pourquoi
on ne jetterait pas des œuvres d'art sur les tomates.
Personne
n'ose lui dire la vérité. Même ce ténor finissant, qui se fait
invectiver chaque soir dans la coulisse par la Nedda qu'il vient de
tuer sur scène, et qui va devenir son professeur. C'est qu'Atos
Pezzini a une cour interlope à entretenir, gigolo parasite,
cartomancienne à barbe et pianiste sourd. L'argent n'a pas à sonner
juste. Et Marguerite veut monter sur une vraie scène, devant un vrai
public, se montrer, reconquérir son mari. Car l'étole rouge de la
maîtresse est le sang qui coule de sa blessure. Addio, del
passato bei sogni ridenti. Mais d'exercices de respiration en
gymnastique lascive, le faux reste faux et les morceaux du récital
sont biffés l'un après l'autre.
La
vie on la rêve ou on l'accomplit.
Reste Casta
diva.
La salle est pleine, le mari est là. Marguerite, des ailes d'Icare
dans le dos, chante. Faux. Le public est hilare. Mais à un moment
cela devient sublime. Marguerite se consume entièrement dans ces
quelques notes justes qui précipitent sa chute.
Voilà
que Marguerite va rejoindre dans leur folie les Ophélie, les Lucia,
les Lady Macbeth, délirant en chemise de nuit à propos
d'engagements fantasmés. Et c'est un docteur Miracle qui va la faire
chanter, l'enregistrer, lui faire écouter cette vérité qui va
jaillir du pavillon du phonographe.
Le
mari se précipitera dans les couloirs de l'hôpital. Mimi !
Butterfly ! Marguerite ! Mais il est toujours trop tard lorsque le
ténor volage crie le nom. Le diable photographe a saisi le finale.
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