Voir
Tosca dans les lieux de sa création, dans les décors et
costumes de la création reconstitués d'après les dessins d'Adolf
Hohenstein. Considérer 1900 avec le regard de 2017 est l'objectif du
projet La memoria du Teatro dell'opera : « vérifier
comment nos yeux et notre goût réagissent au temps qui passe ;
et si une scénographie classique résiste aux changements
d'époques. » Au fond, la couche de poussière n'est pas si
épaisse. Dans la Chiesa di Sant'Andrea della Valle, il y aura
toujours une statue de la madone, une Magdalena plus ou moins
achevée, un échafaudage, et la chapelle des Atavanti – on ira
vérifier sur place que la représentation est fidèle, elle l'est en
effet. Le bureau de Scarpia au palais Farnese aura toujours une
fenêtre qui doit s'ouvrir sur la cantate, au moins deux portes, une
table dressée pour le dîner sur laquelle on n'aura pas oublié le
couteau, un bureau, chandeliers obligatoires. Et on doit avoir la
sensation de vide sur la plate-forme du Castel Sant'Angelo,
parfaitement rendue avec ce parapet net sur fond de basilique
Saint-Pierre éclairée par le soleil levant.
Dans
ce contexte historique, la direction d'acteurs – d'aujourd'hui
(Alessandro Taveli) – ne dit rien de plus que le texte, et les
gestes et postures relèvent souvent du mécanisme plutôt que d'une
véritable expression de sentiments (un, deux, trois, je me retourne
et je saute…) Le couple Mario (Giorgi Berrugi) – Floria (Virginia
Tola) manque de relief - le
ténor récolte même quelques huées à l'issue de E
lucevan le stelle,
à moins qu'elles ne s'adressent au chef qui a, sacrilège hélas
courant, arrêté l'orchestre ?
En revanche Luca Salsi, pour
sa prise de rôle, en impose en Scarpia et porte quasiment seul la
tension de l'acte II. Angelotti remarquable de graves de Luciano
Leoni contrastant avec un sacristain effacé (Domenico Colaianni). Le
jeune pâtre est magnifiquement chanté, depuis la fosse, par une
jeune enfant de la Scuela di Canto Corale du Teatro dell'Opera. Jordi
Bernàcer n'est pas avare de son, le Te
Deum
est impressionnant, et l'acoustique du théâtre permet d'apprécier,
même du tout dernier rang de la dernière galerie, le dialogue des
cloches et les
cordes basses
d'un prélude de l'acte III absolument magnifique.
Changement
radical pour Fra
Diavolo,
place aux décors issus d'impressions 3D (Giorgio
Barberio Corsetti et Massimo Troncanetti) et
aux projections qui
immergent le spectateur dans un comics.
Phylactères,
onomatopées, exagérations investissent les murs blancs de
l'auberge, transportant les personnages en montgolfière ou en
gondole sans qu'ils quittent leur balcon. De grosses mains
décortiquent entièrement la (fausse) voiture, un aileron de requin
poursuit de placides poissons, les fleurs poussent à toute vitesse,
la
mer se déchaîne, les nuages menacent, des ombres inquiétantes
rasent les murs. C'est parfaitement réalisé, très faux, très
vrai, très drôle. Le
procédé s'essouffle cependant après l'acte I. Si Fra Diavolo
parade dans un travelling infini entre deux rangées d'immeubles,
acclamé par des silhouettes toujours plus nombreuses, la scène du
mariage accuse un kitsch sans
imagination et trop statique. L'envers du décor révèle cependant
un intérieur d'auberge à deux étages et multiples chambres, idéal
pour cacher les uns et tromper les autres, sous
le regard d'une énorme Lune. Les chorégraphies, comme souvent,
n'apportent pas grand chose, mais
l'idée de confier le rôle muet de Francisco à un danseur (sosie de
Benjamin Millepied) est tout à fait pertinente.
John
Osborn, très applaudi au Capitole pour le rôle titre du Prophète,
est exceptionnel d'aisance vocale et scénique, particulièrement
dans son monologue du III où il dialogue
avec ses victimes, seigneur ou fillette, baryton ou soprano.
On
remarque également le magnifique Giacomo de Jean-Luc Ballestra,
baryton à la voix de velours parfaitement projetée. Nul besoin
d'exercice cognitif complexe de lecture de surtitres anglais et
italiens pour comprendre le français de ces deux-là. Il
n'en est pas de même pour le reste de la distribution, dont la
quasi-absence de diction empêche toute compréhension du texte.
Roberto
de Candia et Sonia Ganassi campent cependant un couple truculent
d'anglais. Anna
Maria Sarra (Zerlina) et Giorgio Misseri (Lorenzo) ont curieusement
le même profil vocal : assez peu de projection mais des aigus
très vaillants et sonores. Beppo
presque inexistant de Nicola Pamio. La
direction de Rory Macdonald est jeune, enjouée, très attentive au
plateau. Le
public plutôt âgé du dimanche après-midi fait
une ovation au spectacle.
Teatro dell'opera di Roma, 14 et 15
octobre 2017
Photos © Yasuko Kageyama
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